Comme tu sais, le cours de bourse n'est pas forcèment indicateur de la santé d'une entreprise, mais plutôt de la psychologie des investisseurs. Tu pourrais même rajouter qu'il a doublé depuis fin Mars, alors qu'il était de moins de deux euros, et qu'il est maintenant à plus de 4 euros. Mais il avait beaucoup baissé auparavant, au point que la valorisation d'Altice Europe est d'environ 5 milliards d'euros, c'est à dire du même niveau qu'Iliad, même après sa baisse, alors que son chiffre d'affaire est au moins 3 fois plus élevé.
Là, ils ont été rassuré parce que pour la première fois depuis plusieurs trimestres, le CA a augmenté, la marge brute aussi (EBITDA), que ses prévisions pour 2019 ont été revues à la hausse, qu'Altice a repoussé les échéances de sa filiale luxembourgeoise en contractant de nouveaux prêts pour 2.9 milliards, et en utilisant 1 milliards de crédits venant de SFR (vente SFR FTTH) pour en rembourser une partie, et 500 millions pour rembourser pour la première fois une partie de la dette de SFR (qui est passée à 15.4 milliards).
Donc Altice est allé dans le sens de la bourse en vendant des actifs pour rembourser une petite partie de la dette et en ne parlant plus d'investissements insensés (fibrer toute la France sur fonds propres...).
Mais sur le fond, la situation n'a pas changé, et Altice n'a fait que gagner du temps. Je maintiens que le niveau de concurrence en France et donc des prix ne permet pas à Altice de dégager des marges suffisantes pour rembourser ses dettes.. Tu remarqueras que je n'ai jamais dit la même chose pour Altice USA, qui a pourtant un taux d'endettement plus élevé, car aux Etats-Unis la situation de monopole régional permet d'imposer des niveaux de prix très élevés (abos de 100 à 150 $ par mois), qui permettent de rembourser à peu près n'importe quel niveau de dette, aux frais des abonnés.
Pour ce qui est de la vente de 49.99% de SFR FTTH pour 1.7 milliards d'euros, il faut bien voir que d'une part les investisseurs ne sont pas des philanthropes, ils attendent des revenus de cet investissement (~5% l'an), car en ce moment les taux d'intérêt sont très bas, et que les revenus tirés des infrastructures sont supérieurs à ceux tirés en prêtant. Mais donc cela fera moins de revenus pour Altice même (deux fois moins). D'autre part, Altice aurait du garder ces 1.7 milliards pour financer le déploiement de la fibre.
Mais donc Altice n'a toujours rien remboursé à partir de ses revenus propres d'activité...
J'avais dit que je prévoyais que la situation d'Altice (Europe) deviendrait très difficile à l'approche des premiers grosses échéances de ses prêts (2022), et lorsqu'il aurait à payer les fréquences 5G et à financer le déploiement. Là, il a réussi à repousser les échéances, et en France, le niveau des enchères 5G sera inférieur à celui de l'Italie et de l'Allemagne. Par contre, le niveau des investissements et les contraintes de dates imposées par l'ARCEP seront très élevées.
Altice a la très grande chance que le niveau des taux d'intérêt continue à être historiquement très bas, et qu'il y a beaucoup de cash à placer, et donc qu'il trouve des investisseurs pour lui prêter (à des taux quand même très élevés). Tant que cette situation perdurera, et qu'Altice pourra réemprunter pour repousser ses échéances, il pourra survivre. Quand les taux remonteront, cela deviendra très difficile.
Pour finir, je vais reprendre une analyse du site proxinvest de Juin dernier, qui dit cela de façon bien plus précise que je ne peux le faire. La situation s'est en fait aggravée depuis la séparation d'Altice Europe et d'Altice USA il y a un an. Au niveau actuel de génération de Free Cash Flow d'Altice Europe, il faudrait 24 ans pour rembouser la dette, alors que sa "maturité" est de 6 ans.
« Altice Europ/Next Alt », un désastre financier en formation à la « Casino/Rallye » ?
Bien que 2018 aura été l’année du redressement commercial de SFR en France, de la scission d’Altice USA et des cessions d’actifs contribuant au désendettement de l’ordre de €16,85 milliards, ainsi que des refinancements à hauteur de €5,25 milliards allongeant l’échéancier pondéré d’Altice Europe d’une demie année, l’exercice 2018 n’aura en fait consisté qu’à reculer pour mieux sauter. Ce que les anglo-saxons appellent « kicking the can down the road » : on gagne du temps mais on n’avance pas vraiment dans la résolution du problème.
Et le problème ici, c’est le surendettement d’Altice Europe qui devient de plus en plus insoutenable : ainsi, la capacité de remboursement par le « free cash-flow » (FCF), c’est-à-dire le flux de trésorerie réellement disponible pour dégager la dette bancaire et obligataire, s’est brutalement détériorée en passant de 12 ans en 2017 à… 24 ans en 2018, pour un endettement avec un échéancier pondéré de… 6 ans, beaucoup plus court. Autrement dit, en l’état actuel des choses, il faudrait quatre fois plus de temps pour rembourser la dette que celui prévu dans les contrats de prêts bancaires et les prospectus d’emprunts obligataires. Une gageure. Bien sûr, la scission contrainte et forcée des opérations américaines a allégé la pression… mais temporairement seulement, car Altice USA contribuait quelques €3,07 milliards au FCF de l’ensemble en 2017, expliquant la chute du FCF de €4,45 milliards à €1,37 milliards en 2018, une baisse plus forte proportionnellement que l’allègement de l’endettement net passant de €53,83 milliards à €33,53 milliards. La vente de 49,99% de SFR FTTH a également fait rentrer €1,7 milliards dans les caisses en mars 2019, donnant un endettement net pro forma de €31,83 milliards.
Sur le papier, Altice Europe affrontera des gros problèmes d’échéances contractuelles de remboursement à partir de 2022, avec quelques €4,61 milliards à couvrir. A moins qu’elle puisse… plus que tripler son FCF d’ici-là, un espoir qui relève de la catégorie du « wishful thinking » de la bonne vieille méthode d’Emile Coué de la Châtaigneraie. Les châtaignes risquent effectivement de pleuvoir sur les porteurs d’obligations et les banquiers car, pour ce faire, il faudrait que sa marge d’excédent brut d’exploitation (EBITDA margin) passe de 38,9% en 2018 à… 61,6% en 2022.
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Altice Europe est ainsi condamnée à « kicker the can down the road », à se refinancer en espérant que la fenêtre du marché des Junk Bonds ne se refermera pas soudainement, comme cela arrive à intervalles réguliers quand les zinzins fuient vers la liquidité, la qualité et la sécurité (flight to liquidity, quality and safety).
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http://www.proxinvest.fr/?p=5796