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vivien

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Deezer avec Orange, c'est un tournant gigantesque
« le: 29 août 2010 à 10:16:17 »
Deezer est en ébullition. Depuis l'annonce d'un accord majeur de distribution avec Orange, la start up qui a lancé en France la distribution légale de musique en ligne en streaming (NDLR : diffusée en direct sur Internet) est de nouveau sous le feu des projecteurs. Orange va lui permettre de se faire connaitre auprès de ses millions de clients et de faire exploser son marché.  Entre deux réunions avant l'heure H, Axel Dauchez,  directeur général de Deezer, détaille sur TF1 News l'accord qui a été lancé jeudi 26 août 2010.

Sur ADSL ou Mobile, Orange va frapper fort avec Deezer qui devient son "fer de lance musical". "La musique est un centre intérêt très fort sur les PC, mobiles, tablettes, baladeurs... Toutes nos offres Internet ADSL seront donc proposées avec un abonnement premium intégré pour 5 euros de plus par mois mais ils seront toujours libres de s'y abonner à part et sans engagement au prix du marché. S'agissant du mobile, l'accès à Deezer remplace "l'avantage musique" que nous proposons à nos clients dans les forfaits Origami, par exemple" annonce à TF1 News Alice Holzman, la directrice adjointe grand public en charge du marketing d'Orange.

TF1 News : Un nouveau partenariat avec Orange va permettre aux clients d'Orange de découvrir Deezer. Comment présentez-vous votre service à ceux qui ne le connaissent pas encore ?

Axel Dauchez, Directeur Général de Deezer : Deezer, c'est d'abord une entreprise française qui n'a pas trois ans d'existence et a inventé ce qu'on appelle le streaming gratuit, légal et illimité.  Avec plus de sept millions d'utilisateurs réguliers, elle a rencontré un succès phénoménal. Il y avait alors une nécessité de trouver une alternative au téléchargement basique et au piratage qui avaient provoqué une baisse du marché de la musique alors que paradoxalement elle était toujours plus écoutée... Depuis six mois, Deezer est aussi une solution payante d'écoute de musique en streaming, Deezer  Premium, qui permet aux abonnés d'avoir accès sans pub à toute la musique sur tous leurs appareils. Ils peuvent s'y connecter à domicile, sur ordinateur ou via la télévision, mais aussi  au bureau ou en mobilité, sur tous les téléphones portables du marché : iPhone, Blackberry, Samsung... C'est à cette offre que pourront avoir accès les clients d'Orange.

TF1 News : L'opérateur a décidé d'intégrer Deezer à ses forfaits ADSL et mobile, cela vous donne accès à des millions de clients...

Axel Dauchez : Pour nous, ce partenariat est révolutionnaire. C'est un tournant gigantesque.  Orange va faire de Deezer son fer de lance, c'est un énorme booster. Nous avions une offre payante que nos clients adorent mais que nous peinions à faire connaitre auprès du grand public et surtout à faire essayer pour qu'il l'adopte. Il fallait la démocratiser et nous avions besoin d'un partenaire massif pour lui donner une ampleur nationale et une dimension grand public. Avec un produit distribué par Orange, les gens se disent "c'est pour moi". Il va y avoir des campagnes de publicité que nous n'aurions jamais pu faire seuls. Grace à cet accord, la musique légale deviendra un produit de grande consommation. La chance que nous avons, c'est que les opérateurs abandonnent le contenu en ce moment et que cet accord d'offre de musique illimitée inclus dans un forfait sur du long terme est une première au monde.

TF1 News : Après Internet, la télévision, la téléphonie, la musique illimitée pourrait donc devenir un élèment essentiel des opérateurs fixes et mobiles. Allez-vous devenir une "brique" des abonnements Orange ?

Axel Dauchez : En quelque sorte. Dans la plupart des abonnements et des renouvellements chez Orange, il y aura du Deezer (Voir notre encadré), l'objectif étant de compter d'ici un an entre 300.000 et un million de clients Deezer Premium. Cela ouvre un marché énorme. L'opérateur prendra aussi un peu plus de 10% de notre capital mais ce n'est pas le plus important car nous allons continuer sous notre propre nom avec d'autres produits et partenaires. Tout le marché en bénéficiera. Le rêve, cela serait que SFR fasse la même chose avec Spotify (NDLR : un autre acteur de la musique en streaming à découvrir ici)  mais j'ai le sentiment que le groupe a plutôt fait marche arrière sur la musique.

TF1 News : Orange vous a choisi alors qu'il avait lancé son propre service de musique en ligne, WorMee, qui s'était montré très agressif envers Deezer dans son marketing. C'est une revanche ?

Axel Dauchez : Non, car WorMee est plus petit... Il a un actionnaire qui s'appelle Orange et qui a choisi de parier sur Deezer, le leader. WorMee n'avait pas de solution payante en place et donc c'était naturel que l'opérateur travaille plutôt avec nous.

TF1 News : Vous aviez rejoint Deezer il y a quelques mois pour en faire une affaire rentable. Mission accomplie ?

Axel Dauchez : Avec 70% du marché du streaming, nous avions une marque fabuleuse mais une vraie fragilité économique avec des pertes cumulées de 10 millions d'euros qui nous avait permis d'entrer sur ce marché en investissant sur le développement et marketing. Ma mission était donc de transformer cet investissement en business stable. Aujourd'hui, notre audience nous a permis de trouver l'équilibre et de pérenniser nos relations avec les ayants droit.

TF1 News : Tout le monde n'a pas eu cette chance. Le site de musique Jiwa a dû récemment mettre la clé sous la porte faute de pouvoir rémunérer les ayants droit, artistes et maisons de disques. Nathalie Kosciusko-Morizet,  la secrétaire d'État à l'économie numérique, leur a donc demandé de favoriser au plus vite l'accès à leurs catalogues. A-t-elle raison ?

Axel Dauchez : Oui, car les conditions économiques auxquelles était soumis Jiwa n'étaient pas tenables et les empêchaient d'aller chercher des capitaux leur permettant de survivre. Deezer a profité d'une prime au premier grâce à ses innovations mais nos investisseurs ont quand même été courageux, voire un peu fous, de se lancer. A l'époque, la Sacem (NDLR : la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique qui collecte leurs droits) a  été la première à rentrer en conflit avec nous, puis ensuite la première à nous soutenir. La survie de Deezer face aux maisons de disques n'a été possible que grâce a l'accord qu'elle a signé avec notre entreprise et qui nous a protégés. Mais les conditions ne sont pas encore idéales... Avant même de parler de rémunérations, il faudrait donner un accès beaucoup plus simple aux catalogues : une plateforme solide,  qui respecte certaines conditions, ne doit pas essuyer de refus. C'est la condition numéro 1 de la concurrence. Ensuite, le prix payé pour la musique doit laisser des moyens pour payer les coûts de structure, l'innovation technologique, le marketing... Il y a donc bien aussi un problème d'argent.

TF1 News : L'industrie musicale n'a-t-elle toujours pas compris qu'Internet a changé la donne ?

Axel Dauchez : Au début, nous avons dû payer pour exister car tout le monde avait peur de son ombre dans ce métier mais les ayants droit changent. Ils ont intégré que nous sommes un outil à leur service et surtout un allié qui leur rapporte de l'argent. L'industrie a perdu à la fois une masse monétaire mais aussi des outils de marketing, de promotion, qu'elle avait en magasin. Avec la baisse de l'audience des radios et des émissions de variété à la télévision, il y avait un problème global de valorisation des artistes. Nous sommes devenus un média important de découverte en proposant des coups de cœur "made in Deezer". Si l'on met un artiste inconnu en avant, il se retrouve le lendemain dans les 20 premiers des ventes sur iTunes et si l'on soutient un artiste confirmé, il se retrouve numéro 1...

TF1 News : Tout finit donc encore une fois chez Apple !

Axel Dauchez : Mais tout le monde réalise maintenant que le quasi-monopole d'iTunes a été extrêmement néfaste pour le fonctionnement du marché avec un modèle largement truqué. Associée à des ventes de matériel comme l'iPhone et l'iPod, la plateforme d'Apple a fait croire que la filière pouvait survivre avec très peu de marges. Cette économie mixte entre contenu et matériel lui a permis de mettre des barrières à l'entrée qui a rendu sa situation monopolistique. Pour que d'autres plateformes puissent se déployer, il fallait que des gens investissent et iTunes était sur des niveaux de reversement aux ayants droit qui ne le rendait pas possible.

TF1 News : iTunes est pourtant votre partenaire pour les achats à l'acte...

Axel Dauchez : Oui, j'envoie chaque année sept millions de clients sur leurs pages mais ils nous paient très peu d'argent. C'est symbolique, quelques dizaines de milliers d'euros. C'est surtout pour nous un service complèmentaire que nous rendons à nos clients pour qu'ils puissent acheter leurs découvertes.

TF1 News : Les champions de la musique légale placent souvent beaucoup d'espoir dans la mise en place de l'Hadopi, le nouvel arsenal anti-pirates. Vous aussi ?

Axel Dauchez : Bien sûr, mais pour moi Hadopi  n'est qu'une des composantes du tournant du marché digital en ce moment. Chacun son métier. Le succès de Deezer a été de proposer un offre légale compatible avec le mode de consommation des jeunes, c'est le nôtre, mais c'est à l'Etat de leur dire que leur autre mode de consommation ne convient pas. Je crois à un impact important d'Hadopi sur le piratage mais ce ne sera pas magique, l'unique solution.

TF1 News : Le système peine encore à se mettre en place. Quel regard portez-vous sur ses débuts ?

Axel Dauchez : Je n'ai pas d'avis, j'aimerais juste que cela se mette en place rapidement. J'ai aussi beaucoup d'espoir pour la carte jeune qui est une mesure incroyablement bien ciblée et qui arrivera en octobre. Pour nous, c'est une aubaine car notre tarif de 10 euros par mois restait trop cher pour les jeunes et nous lancerons des offres dédiées. Ils récupéreront des bons pour de la musique à moitié prix sur le site officiel et pourront ensuite les utiliser chez nous et nos concurrents. Mais faire Hadopi sans innover serait une réaction idiote de l'industrie et augmenter simplement le niveau de répression et de subvention serait un aveu d'échec. Le marché peut s'appuyer sur un cadre "Hadopien" mais les acteurs privés doivent se prendre en main en inventant des nouveaux moyens légaux d'accès à la musique.

TF1 News : Entre Orange et la Carte jeunes, votre modèle payant va s'imposer. Allez-vous abandonner le gratuit ?

Axel Dauchez : Sûrement pas ! Le service gratuit et illimité financé par la pub est le creuset de notre marque. Deezer doit rester le lieu où l'on découvre de la musique sans payer. C'est fondamental et cela peut-être monétisé par la pub. Notre audience cumulée nous met d'ailleurs dans la course de tête des grandes radios FM, au niveau de Virgin Radio. C'est important en termes publicitaires, car nous avons à  la fois des capacités de ciblage propres au web, et l'audience d'un grand média. Cela représente déjà plus de 10% de notre chiffre d'affaires.

TF1 News : Votre concurrent, le suédois Spotify est devenu le chouchou des "geeks". Avez-vous pris du retard techniquement ?

Axel Dauchez : Non, car techniquement, chacun est en tête à son tour au gré des mises à jour des produits. Spotify est dans une logique de téléchargement d'une application - qui ressemble à iTunes mais en streaming - alors que nous sommes directement dans le navigateur Internet, il n'y a rien à installer.  Nous sommes donc plus accessibles, plus grand public alors que Spotify est sur une niche. Pour moi, ils sont encore inexistants sur le gratuit en France et donc la concurrence vient plutôt des radios. Et sur la partie payante, sans accord avec un opérateur, ils restent petits. Notre concurrent, c'est plutôt iTunes ...

TF1 News : Quels innovations peut-on attendre de votre prochaine version ?

Axel Dauchez : Quand on découvre de la musique, on a envie d'en parler avec ses amis. En un clic, vous pouvez déjà partager vos goûts musicaux sur Facebook mais nous comptons aller plus loin avec une refonte totale de notre logique communautaire. Avec 200.000 fans, nous sommes le cinquième groupe Facebook de France.

TF1 News : Deezer est devenu un géant de la musique. Vous allez devoir abandonner "l'esprit start up"...

Axel Dauchez : Regardez nos locaux (NDLR : le dernier étage d'un immeuble un peu décrépi du quartier du Sentier à Paris), on n'est pas encore chez France Télécom !  Nous sommes encore, disons de "petits gros". Je ne sais pas ce qu'est l'esprit start up mais je souhaite en tout cas que nous gardions l'esprit de conquête et d'innovation en nous demandant chaque jour "what's next ?". La prochaine étape pour nous, ce sera de se développer a l'international, a priori en Europe, en utilisant ce modèle que nous  avons construit en France.


Source : TF1 News 27 août 2010 - Propos recueillis par Olivier Levard

Les acteurs principaux de la musique en ligne gratuite et légale :
Deezer : http://deezer.com
Spotify : http://spotify.com
Beezik ([edit] aujourd'hui fermé)
Jiwa (aujourd'hui fermé)
Dailymotion : http://dailymotion.com/daily50
Youtube : http://youtube.com/

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Deezer avec Orange, c'est un tournant gigantesque
« Réponse #1 le: 01 septembre 2010 à 08:00:36 »
Sur le blog ReadWriteWeb, Fabrice Epelboin relève que Deezer, "suite à son inté­gra­tion à Orange, se voit attribuer des condi­tions spécifiques"  (des canaux réservés) qui selon lui enfreignent le principe de neutralité du Net. En deux mots : alors que dans le cadre d'un forfait mobile, le débit est limité à partir d'un certain niveau de consommation, ce qui en pratique interdit l'usage de la musique en streaming, les abonnés Orange à Deezer Premium bénéficieront, eux, d'un vrai usage illimité. Ce qui a pour conséquence de fermer le marché à tout autre service équivalent. Et différencier le traitement de deux contenus web de nature équivalente, c'est contraire à la neutralité du Net. 

On pourra nuancer le propos en avançant que la plupart des consommateurs croient réellement que les forfaits mobiles "internet illimité" ne sont pas bridés, et que l'avantage concurrentiel auprès des consommateurs s'en trouve tout relatif. Reste que vis-à-vis des autres acteurs de la musique en ligne, Orange prend une longueur d'avance. Et tente, à la manière de Verizon aux Etats-Unis, d'imposer ses conditions.

A noter une réaction d'un concurrent de Deezer, Qobuz qui repose sur un modèle payant et qui est furax de l'accord Orange Deezer...
=> http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/yves-riesel-interview-d-yves-riesel.shtml