La conclusion :
Jusqu’ici fragmentée, la prise de conscience des pouvoirs combinés du logiciel libre et du réemploi se diffuse : les industriels du reconditionnement et les professionnels et communautés de l’open source
opèrent un lent mais profond rapprochement, qui irrigue déjà la sphère économique et le secteur public bien au-delà de la seule économie sociale et solidaire.
L’installation de systèmes libres pour prolonger la vie des équipements n’est en rien une démarche anticapitaliste, une trajectoire de décroissance, ni une utopie anti-économique : d’un côté, l’open source est un marché déjà mature, à la croissance prometteuse, dont bénéficient de nombreuses entreprises françaises, et dont l’impact sur la modernisation du service public est indéniable. D’un autre côté, l’économie sociale et solidaire emploie 17 % des salariés Français, et les industriels (et structures de toutes tailles) du réemploi y constituent une filière intensive en emplois.
Entre l’importance de la production dans l’impact global d’un matériel sur l’ensemble de son cycle de vie (environ 75 %), et le profond potentiel de son allongement au-delà des politiques d’obsolescence programmée des logiciels (ou de la simple décorrélation de leur cycle de vie, très court, avec celui du matériel), il apparaît évident que le logiciel libre permet de combler le vide.
Les professionnels français du logiciel commencent à intégrer cette logique : le pôle de compétitivité Systematic (Paris), par la voix de son « Hub open source », écrit dans un manifeste pour la sobriété que « Notre secteur doit prendre la tête de la lutte contre l’obsolescence programmée des logiciels, principale arme marketing des industriels du logiciel et du matériel », et résume ainsi les enjeux : « Pour survivre aux menaces qu’elle s’est elle-même créées, l’humanité doit se doter de technologies répondant au strict besoin et pensées dans une approche durable. Les logiciels open source répondent naturellement à ces objectifs, sans tomber dans une logique de décroissance et de régression. »
L’open source opère donc une étrange alchimie entre sobriété et croissance : même des géants comme Google y voient une opportunité, à la fois de se positionner comme acteur du développement durable, et de faire du commerce ; et si le cas de leur « Chrome OS Flex » est emblématique, il est notable que de plus petits acteurs commerciaux vivent également grâce au marché de l’installation et du support de systèmes libres sur des équipements anciens ou récents, et constituent un écosystème économique (le cas du FairPhone et d’e/OS est significatif).
Il est donc clair qu’aucun acteur informé et de bonne foi ne peut douter du profond impact qu’a l’installabilité de systèmes libres sur la durabilité des matériels : qui plus est, d’autres externalités de « durabilité » au sens général se voient enclenchées, comme la mise en place de filières d’emploi local ou des bénéfices écologiques.
Mais les enjeux vont au-delà, jusqu’à l’émancipation et au développement humains, et je laisserai le dernier mot à l’April, association de promotion du logiciel libre : « Le logiciel libre, par les libertés qu’il confère, est vecteur d’une informatique plus durable. C’est en garantissant la maîtrise de leurs équipements aux utilisateurs et utilisatrices, en leur donnant les moyens d’être indépendants face aux choix commerciaux des fabricants et des éditeurs de logiciels (privateurs) que l’on pourra pleinement adresser l’objectif de durabilité des équipements informatiques. Que ces personnes exercent par elles même cette liberté, ou fassent appel à des professionnel(le)s. »