Réseau de fibre optique unique en Italie : double peine pour les consommateurs et contribuables
OPINION. Depuis l'année dernière, le secteur des télécommunications italien connaît de grandes manœuvres faites de fusions, rachats, nationalisations et dépenses de grande ampleur. Pas sûr que les consommateurs et contribuables italiens en tirent avantage. Par Patrick Coquart, analyste en politiques publiques, analyste en politiques publiques (*)
Créer un réseau unique de fibre optique
Telecom Italia (Tim), opérateur historique de la péninsule, est à la manœuvre pour faire adopter son projet de création d'un réseau unique de fibre optique. Le but déclaré de cette initiative est de mieux servir le consommateur italien qui, jusqu'alors, ne bénéficie pas d'une couverture optimale du territoire. Le télétravail qui, chez nos voisins comme de ce côté-ci des Alpes, s'est étendu à la faveur du confinement, en a été le révélateur.
Pour offrir un service à la hauteur de ce qu'attendent les clients, Tim a donc eu l'idée de fusionner son réseau de fibre optique (FiberCop, détenu avec Fastweb, un de ses concurrents) avec celui d'Enel (OpenFiber). Une telle opération, selon Telecom Italia, permettrait de déployer plus rapidement la fibre et à moindre coût.
Le gouvernement italien soutient ce projet et veut même aller plus loin, prêtant une oreille attentive aux propositions de Beppe Gillo, le fondateur du Mouvement 5 étoiles (M5S), qui souhaite placer la Caisse des Dépôts (CDP) italienne au centre du dispositif en la faisant monter au capital de Tim. Actuellement la CDP détient environ 10 % de Tim. Elle pourrait, si Beppe Grillo obtenait satisfaction, en détenir près de 25 % pour faire jeu égal avec Vivendi, premier actionnaire de Tim. Par ailleurs, la CDP détient 50 % d'OpenFiber.
L'Agcom (l'autorité de tutelle et de régulation des télécommunications en Italie) et la Commission européenne, en la personne de Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, regardent tout cela d'un mauvais œil.
Telecom Italia serait-elle aux abois ?
Il est clair que Tim, en souhaitant mutualiser le réseau de fibre optique, cherche à faire des économies. Déployer un réseau unique utilisé par plusieurs opérateurs devrait coûter moins cher que de dupliquer des réseaux indépendants. Mais n'est-elle pas plutôt la conséquence des sommes astronomiques dépensées par les opérateurs de télécommunications italiens dans les enchères de la 5G ? Telecom Italia a déboursé 2,4 milliards d'euros dans ces enchères pour obtenir le droit d'utiliser les fréquences permettant de déployer le très haut débit mobile. C'est le double du montant que Tim s'était initialement fixé. C'est également le double de ce qu'a dépensé Orange pour obtenir ses fréquences 5G en France.
À ces milliards viendront s'en ajouter d'autres, plus nombreux encore, nécessaires pour déployer le réseau. On comprend, par conséquent, que l'opérateur italien veuille faire des économies. Mais n'est-ce pas sur le dos du consommateur ?
Les Italiens, doublement pénalisés
On ne voit pas, en effet, comment les consommateurs transalpins pourront éviter de payer la facture. Les sommes dépensées par Telecom Italia pour obtenir les fréquences 5G, puis pour déployer le réseau, se retrouveront, en partie du moins, dans les forfaits 5G qui seront commercialisés.
Tim ne se distingue pas de ses concurrents et homologues qui tous, peu ou prou, cèdent leurs infrastructures à des fonds d'investissement qui ensuite les leur louent. Le danger n'est pas nul, par conséquent, de voir les loyers des antennes progresser à plus ou moins brève échéance. Prévisible également le risque que les fonds cèdent leur participation à terme et qu'une concentration s'opère. Là encore, le consommateur en ferait les frais.
Du côté de la fibre optique, notre sujet initial, le manque de concurrence ne pourrait que pénaliser le consommateur. Il est évident, en effet, qu'un acteur monopolistique sur un marché a le pouvoir de limiter les produits et services et d'augmenter les prix comme il le souhaite.
Mais tout cela n'est pas très grave tant que n'existent pas de barrières légales à l'entrée de ce marché. Car alors des concurrents, avertis par l'augmentation des prix, se présenteront nécessairement pour profiter de l'aubaine. Ce qui aura pour conséquence de faire baisser ces mêmes prix.
C'est là où le projet de renationalisation larvée de Tim devient diabolique. Si l'État italien, à travers la CDP, devient à terme l'actionnaire prépondérant de l'opérateur, il pourrait être tenté d'entraver le libre marché au profit de Telecom Italia. Les contribuables italiens seraient également affectés par la mauvaise gestion qui caractérise, la plupart du temps, les entreprises publiques, monopolistiques ou non.
Si Tim tombait complètement dans le giron de l'État, les Italiens seraient donc doublement pénalisés. Comme consommateurs, en subissant une augmentation des prix et une dégradation des services. Comme contribuables, en finançant à perte une entreprise mal gérée.
C'est pourquoi la création d'un réseau unique de fibre optique en Italie, avec la CDP aux manettes, n'est pas anodine. Espérons donc que l'Agcom et la Commission européenne veillent correctement au grain pour préserver les Italiens de leur gouvernement.
(*) Patrick Coquart est analyste en politiques publiques. Il collabore notamment avec l'Institut économique Molinari (IEM) et l'Institut de recherches économiques et fiscales (IREF).Source :
La Tribune, écrit le 29 décembre 2020 par Patrick Coquart.