Je n'ai pas encore eu le temps de prendre connaissance du rapport, mais que fais-tu du fait que les centrales conventionnelles se sont elles-aussi mises en sécurité (point 14 et 18 dans ta liste) ?
C'est une question rhétorique

Les déconnexions en cascades de tous les moyens de production sur critère de surtension est normale et attendue, c'est une protection imposée d'une part par le grid code, d'autre part par la nécessité de protéger les moyens de production de dommages physiques importants (claquage des condensateurs ou des IGBT dans un onduleur, échauffement excessif/arcing dans les bobines d'un alternateur).
À la lecture des passages que tu cites, et je reviendrai confirmer/infirmer mes dires après avoir lu le rapport, le souci ne me semble vraiment pas lié à une technologie particulière, mais à :
1) un grid code qui n'est pas adapté (injection de réactif à cos phi fixe sans régulation de tension, sur des centrales de 500MWc),
2) des centrales conventionnelles spécifiquement appelées et payées pour faire du réglage de tension qui n'ont pas respecté leur engagement contractuel et n'ont pas répondu à l'appel,
3) une autre centrale CCGT (gaz) qui a été appelée, mais du fait de son temps de démarrage trop important, n'a pas été couplée à temps,
4) une capacité très (trop?) faible de moyens de réguler la tension dans le réseau de transport hors producteurs.
1. est une des sources majeure de l'incident et découle directement de la responsabilité de REE.
Les onduleurs peuvent tous être pilotés pour injecter du réactif dynamiquement et l'implémentation d'une boucle de régulation de tension est relativement simple, surtout sur des grosses centrales. J'ai codé et mis en oeuvre de telles fonctions personnellement sur plusieurs centrales solaires ou hybrides (certes plus petites) et sur des systèmes de stockage. Je ne vois pas de souci technique particulier.
Il n'y a même pas d'argument financier... tous les onduleurs savent le faire depuis des années, des petits SMA Sunny Boy 1kW (ou leur équivalent chinois) aux plus gros de plusieurs MW, sans surcoût ou licence spéficique de la part des constructeurs. Tout ce qu'il faut, c'est un lien de comm (Ethernet ou autre) entre le SCADA et l'onduleur, chose qui est de toute facon déployée pour des questions de supervision et de maintenance, pour pouvoir lui envoyer des consignes de puissance réactive.
Tu mesures la tension au point d'interco de la centrale, tu appliques l'abaque Q(U) qui t'es demandé et tu dispatches les consignes de puissance réactive aux onduleurs. Éventuellement, tu donnes au gestionnaire du réseau de transport la possibilité d'envoyer des consignes manuellement, auquel cas tu stoppes ta boucle de régulation automatique.
Le point 2. est intéressant. Chez nous, si RTE appelle un acteur qui s'est engagé sur un marché de services systèmes (peu importe le marché: ca peut être de la réserve, de l'effacement, de l'injection de réactif, etc.) et que cet acteur ne répond pas à l'appel, les pénalités financières sont assez importantes. Si cela se reproduit de facon répétée, l'acteur en question peut se voir exclu du marché.
Je me demande bien comment c'est géré côté espagnol.
Les points 4. et 1. sont indicatifs d'un système électrique qui n'a pas évolué assez vite et qui considère toujours les capacités de production ENR comme un "plus", insignifiant par rapport aux moyens de prod pilotables conventionnels. Évidemment, quand ton mix électrique est à ~70 % composé de sources ENR autour de midi, ca peut poser des problèmes.
The incident was NOT caused by a lack of system inertia. Rather, it was triggered by a voltage issue and the cascading disconnection of renewable generation plants, as previously indicated. Higher inertia would have only resulted in a slightly slower frequency decline. However, due to the massive generation loss caused by voltage instability, the system would still have been unrecoverable
Les centrales conventionnelles ont peut-être failli à contrôler les variations de fréquence/tension, à voir, mais ce ne sont pas elles qui se sont déconnectées les premières.
1. REE affirme finalement ce que je pensais initialement : il n'y a pas eu de manque d'inertie dans le système. À mon sens, c'est bien qu'ils le disent aussi clairement que cela, car cela tord le cou au mythe de la nécessité d'une inertie importante issue de sources conventionnelles, pilotables et à alternateurs (>=70% si on considère le chiffre de 30% max tolérable d'ENR dans le mix avancé par certains)
2. Les centrales conventionnelles n'ont pas répondu à l'appel de fourniture de services systèmes de REE. Elles n'ont pas non plus été capables de rester couplées lors des perturbations, si on en croit la séquence des évènements.
La raison pour laquelle elles sont restées un peu plus longtemps couplées que les autres est simple : vu qu'on leur demande de faire de la régulation de tension, elles l'ont fait à leur point d'injection, et ont donc automatiquement abaissé la tension aux bornes de leurs génératrices dans une certaine mesure. Selon moi, le fait qu'elles soient quasiment toutes géographiquement proches les a probablement beaucoup aidé également, car elles ont pu "unir leurs forces" pour abaisser la tension localement, si je puis dire.
Si il y avait eu des moyens de régulation de tension actifs dans le sud du pays, je suis prêt à parier que l'évènement ne se serait pas produit... ce qui est assez ironique, car, justement, toutes ces grosses centrales solaires auraient pu participer à la régulation de tension. Mais je radote.
La perte en cascade de 15 GW en quelques secondes provient bien des centrales EnR.
À mon sens, tu es induit en erreur par le fait que la perte de production n'est pas la source du blackout. C'est une *conséquence* de la déconnexion des moyens de production du fait d'un manque de moyens de régulation de tension :
pas assez de moyens de réguler la tension à certains endroits du réseau -> la tension dépasse localement les bornes acceptables -> les producteurs dont la tension observée sort de ce gabarit acceptable se découplent -> en se découplant, ces producteurs arrêtent d'injecter de la puissance active (mais ce n'est *pas* ce qui est important ici) et de la puissance réactive, puisqu'on leur demande d'injecter à cos phi fixe -> cette diminution de réactif contribue à la propagation de la surtension dans le réseau de transport -> d'autres producteurs observent une tension anormalement élevée et se découplent, et ainsi de suite.
Il en résulte, en effet, une perte de production de puissance active et donc une chute de fréquence, mais comme le dit bien REE, lorsque la fréquence a chuté, le système ne pouvait déjà plus être stabilisé depuis longtemps.
La bonne nouvelle, c'est que REE peut relativement aisément imposer aux grosses centrales ENR de faire de la régulation de tension : les solutions techniques sont simples à mettre en oeuvre (probablement une étude puis reconfiguration des onduleurs et du power plant controller, éventuellement ajout d'un peu de matériel pour quelques copeks... mais clairement pas de remplacement d'onduleurs ou transformateurs), la volonté politique de faire évoluer le grid code sera probablement forte et donc le cadre légal sera adapté pour permettre à REE d'introduire des amendements techniques aux contrats existants.
Il va probablement aussi qu'ils frappent très fort sur les doigts des opérateurs de centrales conventionnelles qui n'ont pas honoré leurs engagements de services systèmes.
Maintenant qu'on sait que les centrales ENR ne participent pas ou peu à la régulation de tension, le fait que REE ait augmenté significativement la part de production nucléaire dans le mix suite à l'évènement prend tout son sens : ils font le choix d'écrêter des ENR en plus grande quantités (bonjour les prix négatifs) pour maintenir les génératrices conventionnelles à des points de fonctionnement leur permettant de faire assez de réactif pour pouvoir régler la tension dans tout le système.
Je pense que dès que les centrales ENR commenceront à participer au réglage de tension, la part de nucléaire diminuera probablement à nouveau, et en toute sécurité pour le système.