Un article intéressant sur la fracture Nord-Sud d'Internet :
5 - Que se passe-t-il dans les pays èmergents ?
Ce qui a été expliqué plus haut a des conséquences qui rendent les communications nationales et internationales bien plus chères pour les pays en développement et paradoxalement imposent au Sud de financer le Nord...
Au début des télécommunications téléphoniques, l’approche par demi-circuit avait pour conséquence que les pays qui appelaient le plus payaient le plus. Cela se traduisait par un flux financier Nord-Sud dans le cas des télécommunications téléphoniques, jusqu’à ce que la dérégulation change la donne.
Dans le monde de l’internet, l’arrivée des IBP puis des accords de peering payant à partir de 1997, ont conduit à une situation radicalement inverse où le Sud finance le Nord !
5.1 - Le trafic international - et même une partie du trafic national - est payé exclusivement au Nord par le Sud
1-Les IBP étant principalement américains, le transit Nord-Sud, par exemple entre l’Afrique et les Etats-Unis est payé par les pays africains, que ce soit dans un sens ou dans l’autre.
2-La plupart du temps, le trafic entre les différents pays africains, même voisins, passe par des IBP qui le réacheminent par le Nord et font ainsi payer deux communications internationales.
3-Dans un certain nombre de cas, les réseaux des FAI sont reliés au reste du monde exclusivement par satellite. Lorsque les réseaux des grandes viles ne sont pas reliés entre eux par des fibres optiques, les FAI doivent alors utiliser leurs liaisons satellitaires achetées au Nord également pour les liaisons nationales.
4-De même, lorsqu’il n’existe pas de point d’interconnexion, les échanges entre FAI du même pays doivent utiliser un point d’interconnexion... du Nord. Chacun d’eux doit alors utiliser sa bande passante internationale et payer très cher un IBP.
5.2 - Le coût de la bande passante internationale n’est pas le même lorsque l’on est au Nord ou au Sud
La situation est aggravée par un autre problème : du fait de la position quasi monopolistique des IBP et du rapport de force Nord-Sud dans les télécommunications, les tarifs sont non négociés. Les trafics des pays en développement sont trop faibles pour que les acteurs aient une capacité de négociation. Les prix pour les Africains sont plus élevés que ceux proposés pour le reste du monde.
La situation est particulièrement cruciale dans le domaine des satellites, seule solution le plus souvent lorsqu’il n’existe pas d’infrastructure en fibre optique : ainsi, non seulement le matériel coûte plus cher du fait des taxations et la mise en place d’une connexion satellite spécifique pour l’Afrique est plus chère du fait du moindre trafic que sur des liaisons satellite au Nord ; mais de façon encore plus incroyable, les réseaux satellitaires mondiaux constitués de flotte de satellites et dont la bande passante devrait normalement coûter le même prix partout, reviennent environ quatre fois plus cher lorsque l’on est en Afrique.
5.3 - La fibre optique existe en Afrique mais n’est pas moins chère que le satellite
Depuis avril 2002, une Fibre Optique a été posée autour de l’Afrique. Elle part du Portugal, fait le tour du continent et rejoint ensuite l’Asie (Sat3 WASC Sake). Elle permet aux pays proches de l’océan qui y sont connectés et à certains pays plus à l’intérieur (qui s’y sont reliés en posant une fibre optique qui traverse les pays côtiers), de ne pas avoir à utiliser le satellite pour leur transit international. Cependant, suivant une estimation faite par Laurent Gilles de l’ENST, le coût n’a pas baissé pour autant :
Le coût d’un Megabit/seconde pendant un mois sur cette Fibre Optique est 3000$ si l’on prend un amortissement sur 5 ans des 300M$ investis
De plus la passerelle qui permet de relier les différents FAI à la fibre optique est le plus souvent un monopole local.
Le prix du Megabit/seconde par satellite est sensiblement identique et même moins cher : entre 2000 $ à 3000 $ par Mbit/s
Cependant, une fois la fibre amortie (selon ce calcul : en 2007) le coût devrait théoriquement être divisé par 3...
5.4 - Le coût pour l’Afrique
Une estimation réalisée en 2003 donne un coût pour l’Afrique de 400 millions $ par an ! Même si le coût du transit baisse, les pays èmergents doivent rationner leurs communications.
Il est instructif de comparer sur cette base les coûts des fournisseurs du Nord et du Sud pour un service équivalent. Ceux-ci se répartissent en trois coûts : les opérations, les connexions nationales et les connexions internationales. En donnant une base 100 pour les coûts d’opération, on obtient la comparaison suivante :
Pays de l’OCDE : opérations = 100 + connexions nationales = 12,5 + connexions internationales = 12,5
Pays en voie de développement : opérations = 100 + connexions nationales = 100 + connexions internationales = 200
Du fait des distorsions de concurrence entre le Nord et le Sud, il revient plus de trois fois plus cher de se connecter à l’internet au Sud plutôt qu’au Nord...
5.5 - Mettre en place des points d’interconnexion pour faire baisser les coûts
S’il y avait plus de trafic, ou même une mutualisation des trafics, il y aurait plus de possibilités de négociation. Le pouvoir des IBP est lié à la rareté des points d’interconnexion.
Comment baisser les coûts : l’exemple de la Mongolie En Mongolie, avant 2001, tous les FAI devaient utiliser une connexion satellite pour leur trafic international mais également pour échanger du trafic entre eux car il n’existait pas de point d’interconnexion. Outre le coût, le délai entre deux utilisateurs disposant de FAI différents était de plus d’une seconde du fait des deux " sauts " par satellite nécessaires pour que les FAI s’interconnectent dans un autre pays, empêchant certains usages. En janvier 2001, une réunion entre FAI a eu lieu à Oulan-Bator. Trois mois seulement après, en avril 2001, est né le MIX (Mongolian Internet eXchange). Trois premiers FAI ont commencé à échanger leur trafic. Les coûts d’interconnexion ont chuté et le délai a été ramené à 10 ms. En 2002, le MIX permettait l’échange des données entre les 6 principaux FAI du pays.
En Asie, des points d’interconnexion existent à Séoul, Honk-Kong, Mongolie, Cambodge...
Depuis 2004, il existe 10 points d’interconnexion sur le continent africain, mais beaucoup de réseaux sont reliés au reste de l’internet par satellite et donc pour l’instant passent par des IBP du Nord et s’interconnectent dans les pays de l’OCDE.
Les prix baissent également lorsque le marché s’ouvre et que les opérateurs monopolistiques doivent accepter la concurrence. En Ouganda, avant l’ouverture du marché en 1997, il existait 5000 utilisateurs de l’internet. En 2003, ce nombre est passé à 125000. Mais l’ouverture du marché intérieur n’est pas suffisante et il est nécessaire que le marché du transit international s’ouvre plus également.Extrait du compte rendu établi par Cécile Méadel de la présentation réalisée par Jean-Michel Cornu le 24 novembre 2006 pour
Vox Internet.