Auteur Sujet: Satellites: la guerre aussi à des milliers de kilomètres au dessus de nos têtes  (Lu 460 fois)

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trekker92

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La bataille spatiale est lancée et tous les coups sont permis
Guerric Poncet
9–12 minutes

Le 17 mai 2024, cosmodrome de Plessetsk, à 800 kilomètres au nord de Moscou. Une lumière aveuglante inonde subitement le pas de tir : une fusée Soyouz-2 décolle avec, sous sa coiffe, une dizaine de petits satellites civils. Jusque-là, rien d'anormal… Sauf qu'en surveillant la libération des satellites sur leurs orbites respectives, les militaires américains du commandement des opérations spatiales découvrent un passager clandestin. Pis : cet objet nommé Cosmos 2576 est libéré sur une orbite ultrasensible, utilisée aussi par le satellite espion USA-314, l'un des plus récents du Pentagone.

Ses caractéristiques sont tenues secrètes, mais Donald Trump, lorsqu'il était président, avait publié sur les réseaux sociaux une photo d'une base iranienne prise depuis un satellite du même type, dévoilant les capacités optiques révolutionnaires de cette série Keyhole 11. De quoi attiser la curiosité du Kremlin.

L'affrontement en orbite terrestre est devenu une réalité. Les approches menées par des satellites dits butineurs, capables d'absorber des données pendant des mois avant de se déplacer vers une autre cible, se multiplient. L'objectif : observer le comportement des satellites espions ou favoriser les opérations de brouillage, comme lorsque le satellite espion russe Luch Olymp 2 a approché Astra 4 A du groupe européen SES, du 1 er avril au 22 juin 2024, et trois autres engins du français Eutelsat en 2023. Washington et Pékin disposent même d'avions spatiaux non habités, assimilables à des drones orbitaux, aptes à libérer et à capturer des objets au cours de missions dépassant les deux ans. Le X-37 B américain, fabriqué par les laboratoires Phantom Works de Boeing, a été le premier. Mais c'est le Shenlong (« dragon divin ») chinois qui concentre toute l'attention depuis son premier lancement fin 2020.
Brouillage des télécommunications

« Chaque année, nous comptabilisons plusieurs incidents affectant des satellites français, militaires ou civils », lance le général Philippe Adam, à la tête du commandement de l'espace français. Dans son bureau, au cœur du Centre de planification et de conduite des opérations du ministère des Armées à Paris, des maquettes de satellites trônent à la place des habituels modèles réduits de chars, de bateaux ou d'avions. « Dans l'espace, nous avons du mal à définir ce qui constitue un acte hostile, explique-t-il. Tant que ce seuil ne sera pas fixé, il sera difficile d'invoquer la légitime défense avant qu'il ne soit trop tard. »

« Beaucoup de choses restent à écrire, nous espérons aboutir à une doctrine commune en 2026 », confirme le colonel Sylvain Debarre, à la tête du Centre d'excellence spatiale de l'Otan, chargé d'animer les négociations entre les quinze membres de l'Alliance qui ont souhaité s'impliquer. « Aujourd'hui, la seule chose interdite dans l'espace est d'avoir une arme nucléaire en orbite, mais quelle est la définition d'une arme ? Un satellite doté d'une propulsion nucléaire peut-il s'apparenter à une arme ? » s'interroge-t-il.

La première angoisse des militaires de l'espace est la perte des capacités vitales aussi dans les domaines de la géolocalisation, des télécommunications ou du renseignement. « Les militaires cherchent toujours à contrôler les points hauts, or l'espace est le point haut ultime pour faciliter les missions », lance Kay Sears, vice-présidente de Boeing chargée de l'espace, du renseignement et des systèmes d'armes. Ainsi, au début de l'invasion russe de 2022 en Ukraine, le Kremlin a frappé fort en brouillant les télécommunications par satellite de l'armée adverse. Alors que la survie de leur pays était menacée, les généraux ukrainiens n'arrivaient plus à communiquer de manière fiable. Fin juin, l'Ukraine a, pour sa part, consacré une salve de missiles à la destruction du centre russe de communications spatiales NIP-16 en Crimée, utilisé pour contrôler des satellites de renseignement et du système de géolocalisation Glonass.
Démonstrations de tirs antisatellites

D'autres moyens pourraient être utilisés pour priver un ennemi de ses capacités spatiales, à commencer par la destruction des satellites. Ces deux dernières décennies, les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde ont effectué des démonstrations de tirs antisatellites, depuis le sol ou depuis un avion à haute altitude. Le but : tester leur matériel, mais aussi montrer leurs muscles. De telles opérations doivent rester exceptionnelles, car elles génèrent d'importantes quantités de débris, qui polluent les orbites et menacent de déclencher une réaction en chaîne apocalyptique, le syndrome de Kessler(lire encadré « Débris exterminateurs » en fin d'article), dont tout le monde pâtirait.

Autre approche, celle des satellites tueurs. Par exemple, la Russie a testé en 2019 un système dit de « poupée russe » : Kosmos 2542 a libéré un sous-satellite appelé Kosmos 2543, lequel a lancé un projectile. « Ce fragment est particulièrement suspect en raison de sa vitesse élevée d'éloignement du satellite mère », relève d'ailleurs une note du Centre d'études stratégiques aérospatiales de juin. À l'époque, la manœuvre n'a laissé guère de doute à l'U.S. Space Command, qui a dénoncé l'essai d'une « arme antisatellite ».

De nombreux pays se tournent aussi vers des outils moins brutaux, comme les lasers, qui permettent d'aveugler des satellites ou de les empêcher d'émettre vers une zone définie. « Avec quelques milliers de dollars et une bonne expertise, c'est relativement facile », nous confiait fin 2023 un général américain, selon lequel l'Iran est coutumier de ce type d'opération. Le cap des 10 000 satellites actifs ayant été franchi en juin, les cibles ne manquent pas…
« Un réseau spatial qui répondrait aux attaques »

Pour se défendre, les pays traquent le moindre mouvement en orbite et intègrent chaque objet dans un catalogue, dont ils protègent les observations les plus sensibles. Pour constituer le sien, la France « dépend largement de sources externes, y compris non souveraines », concède le général Adam. Les radars Graves et Satam des militaires ne suffisent pas : leurs données sont complétées par le catalogue public américain – expurgé par le Pentagone de ses informations les plus précieuses – mais aussi par des acteurs privés comme les services Helix d'ArianeGroup (lire deuxième encadré ci-dessous) et WeTrack de Safran. Une fois les intrus repérés, il est possible d'orienter des télescopes pour leur tirer le portrait.

À terme, plusieurs pays, dont la France, veulent disposer de satellites patrouilleurs, pour identifier les intrus, voire intervenir, grâce à des armes embarquées (laser d'éblouissement, munition de fusil…). Il faut aussi « profiter de nos multiples types de satellites sur différentes orbites pour renforcer nos capacités défensives et contrecarrer l'avantage de la surprise d'un adversaire », estime Kay Sears, de Boeing, selon qui l'Occident peut profiter de son avance technologique pour bâtir « un réseau spatial qui se soignerait tout seul et répondrait de manière autonome aux attaques ». Mais, dans ce domaine, le rouleau compresseur chinois est encore impressionnant : après avoir tiré 67 fusées en 2023, Pékin devrait en lancer plus d'une centaine en 2024 et dépasser la capacité de mise en orbite des États-Unis.
Débris exterminateurs

À 7 kilomètres/seconde, un seul débris de 1 centimètre a la puissance de destruction d'une grenade. « Notre mission est d'éviter les vingt premières minutes du film Gravity ! » ironise un expert militaire français, faisant référence à la réaction en chaîne, appelée syndrome de Kessler, qui se produit lorsque la quantité de débris atteint un seuil critique qui déclenche un cercle vicieux incontrôlable, détruisant tout sur son passage et rendant l'orbite inutilisable pour plusieurs décennies.
ArianeGroup, l’œil de Paris

Dans les bâtiments d'ArianeGroup aux Mureaux (Yvelines), à deux pas de l'usine de production d'Ariane 6, se cache un service ultrasensible. Helix est un système de surveillance spatiale, dont le principal client est le ministère des Armées. « Si l'on ne regarde pas dans l'espace, il n'y a plus de problèmes », ironise Philippe Clar, vice-président d'ArianeGroup chargé des programmes de défense. Une boutade ? Pas si sûr. La première détection d'une approche inamicale d'un satellite français a eu lieu par hasard. Au milieu des années 2010, un ingénieur du groupe a la curiosité de vérifier, la nuit, les données d'un système d'optimisation des trajectoires. Il se rend compte qu'un objet étranger est piloté jusqu'aux abords d'un satellite militaire français… La légende veut que, lors de l'annonce de cette première agression au président François Hollande, ce dernier ait répondu : « Je n'ai déjà pas assez d'argent pour payer des chaussures à mes soldats, et vous voulez que je fasse la guerre dans l'espace ? » Depuis, les constellations de satellites ont été lancées, alors que de nouveaux systèmes de propulsion électrique ont élargi les possibilités de manœuvre pour les objets spatiaux. Résultat : il faut tout surveiller, en permanence, afin de pouvoir attribuer une action à un acteur. « Si l'on perd de vue un satellite, il sera très difficile de le réinsérer dans le catalogue, où chaque objet est répertorié avec sa date de lancement, son parcours et ses activités visibles », précise Alexis d'Aboville, directeur des programmes future défense chez ArianeGroup. Sur ses écrans, des milliers de points matérialisent les objets suivis. « Tous les points verts, c'est bio ! » lance-t-il, se référant aux objets estimés non menaçants. Un millier de points sont en revanche prioritaires, et dont une part d'objets inconnus. « Il y a des objets aussi mystérieux que des sous-marins, et nous assistons parfois à des courses-poursuites », lance un ingénieur. Les capteurs d'Helix, répartis sur 17 sites dans le monde (24 en 2030), sont capables de détecter des cubesats, ces minisatellites de 10 centimètres de côté, en orbite basse.

Cochonou

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Voir aussi : GRAVES pour une composante radar.

MoXxXoM

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Voir aussi : GRAVES pour une composante radar.
Même si à l'époque GRAVES était effectivement un gros atout national, l'article a assez mal vieilli quand même...
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Plus performant que prévu, GRAVES est le premier système de veille des orbites basses opérationnel en Europe : sa mise en service en décembre 2005 contribue à « enterrer » la suprématie américaine en matière de surveillance de l’espace : l’acronyme n’est pas si mal choisi finalement !
Les USA sont toujours intouchables et de loin (suffit de chercher les infos publiques sur le SSN (=space surveillance network) et de voir l'ampleur de l'infra pour atterrir un peu sur les moyens mis en oeuvre, y-compris du segment spatial - SBSS), leur équivalent depuis la mise en service de GRAVES a été fermé et remplacé par un truc neuf (https://www.spaceforce.mil/News/Article/2129325/ussf-announces-initial-operational-capability-and-operational-acceptance-of-spa/). Concernant la Chine les moyens pour avancer sont la, mais on rattrape pas pas 60 ans+ d'investissements et d'opération instantanément.