Mais du travail d'une telle qualité, ça me fait poser une vraie question : tous les techniciens sont-ils correctement formés aux travaux sur les réseaux fibre? Est-ce qu'ils manipulent tous les différents matériels disponibles sur le marché?
Quelle est la formation minimale demandée par les 4 opérateurs à un technicien FTTH? Quelqu'un sait ça?
Excellente question, qui est au coeur de la catastrophe annoncée.
En préambule, je me dois de dire que je suis tombé par hasard sur ce thread, alors que je cherchais du matériel pédagogique (photos) dans le cadre des formations type IRCC & TRCC que j'ai l'honneur d'animer en Sud-Aquitaine. Ce fil de discussion résume parfaitement ce que j'ai constaté depuis que je suis de retour "sur le terrain" (j'y reviendrai plus loin), beaucoup des commentaires dont celui de Léon ici reflétant exactement mes propres interrogations et réflexions.
Je me permets donc d'apporter ici quelques-uns de ces éléments de réflexion basés sur ma propre expérience de formateur professionnel dans les années 90, de retour dans ce métier depuis 6 mois, avec 5 années de DSP92 sur le porte-bagages.
Avant cela, mes réponses aux questions posées par Leon :
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Tous les techniciens sont-ils correctement formés aux travaux sur les réseaux fibre : Non. Tous ne sont pas formés, et ceux qui sont réputés formés ne le sont pas tous correctement.
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Est-ce qu'ils manipulent tous les différents matériels disponibles sur le marché : Non. Par la force des choses. Rien que chez Orange, 3 STAS pour le Vertical en ZMD. A multiplier par le nombre d’aménageurs numériques sur un territoire donné (ex. en Pyrénées Atlantiques : Axione sur Pau et Orange sur la Côte Basque) et le nombre d’opérateurs commerciaux présents sur cette zone, on arrive vite à une petite dizaine de configurations différentes. Pire encore en Région Parisienne...
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Quelle est la formation minimale demandée par les 4 opérateurs à un technicien FTTH : En direct, à minima le niveau TRCC. Pour la sous-traitance, à ma connaissance les Opérateurs n’imposent aucune qualification (je peux me tromper, et ce sera avec plaisir).
Maintenant, les éléments de réflexion :
1. La Formation n’est (n’était ?) plus une priorité.Depuis le crash des Telecoms en 2000 et, surtout, l'annonce de son plan FTTH par Free en 2006, la formation des techniciens "fibre" est passée au dernier rang des priorités des entreprises d'installation & maintenance, quelle que soit leur taille et leur part de marché.
Dans la décennie 90, toute société qui se lançait ou se développait sur le marché de la construction de réseaux optiques envoyait systématiquement ses (nouveaux) techniciens en formation, dans les rares centres existant à l'époque : TDO, XWinG (ma propre boite) ou les AFPA & assimilé.
Pas de référentiel type IRCC ou TRCC comme imposé aujourd'hui (voir plus loin) : Nous procédions en "sur-mesure", suivant les besoins et les moyens du client. De 5 à 25 jours voire plus, en centre ou chez le client, avec des ateliers dédiés aux solutions techniques utilisées sur le terrain. Cerise sur le gâteau : On voyait souvent les chefs de chantier et les chargés d'affaire dans ces stages, qui venaient apprendre quelques nouveautés ou petits trucs de pros, en même temps que leurs techs.
Arrive l’éclatement de la Bulle Internet, le crash des Telecoms, la lutte pour la survie, les disparitions des uns, les rapprochements des autres, et le rétrécissement du marché… Adieu la formation initiale des techniciens en centre, on passe au modèle “formation sur le tas”. Les nouveaux arrivants sont formés par un technicien réputé “chevronné”.
Et ainsi de suite jusque au démarrage des premiers campus “formation” montés dans le cadre du Plan France Très Haut Débit en 2015.
Soit environ quinze années SANS véritable enseignement des fondamentaux des fibres optiques et des règles de l’Art. Résultat : Des installations “ni fait ni à faire”, par des monteurs-accordeurs formés par des monteurs-raccordeurs formés par des conducteurs de travaux formés par des chefs de chantier formés à l’époque par un TDO, un XWinG ou un AFPA (que mes anciens camarades de jeu me pardonnent de ne pas les citer tous ici ;-).
D’où ces fibres portées en bouche pendant la préparation de la soudeuse, la cigarette fumante négligemment posée sur le four, les pinces “Miller” en vrac sur le trottoir…
Le pire du pire : Les connecteurs optiques JAMAIS nettoyés, que ce soit à l’installation ou en recette, et encore moins pendant l’exploitation du réseau. Ainsi, j’ai vu récemment un chef de chantier dire froidement à des stagiaires qu’ils pouvaient nettoyer un connecteur sur l’envers de leur tee-shirt (véridique).
Quant aux contrôles des installations selon les normes et standards internationaux, autant ne pas y penser : le “crayon laser” est le couteau-suisse du technicien Fibre, l’OTDR est sorti plus souvent que le kit OLTS, et les fameuses fibre amorce sont trimballées du camion à la cave, de la cave au trottoir, sans jamais être ni vérifiées ni encore moins nettoyées (les connecteurs…).
Stockage des données ? Fichiers .SOR ? Cahiers de recette ? 80% des installateurs ne savent même pas de quoi on parle ici.
Enfin, la documentation du réseau aujourd’hui en 2017 est restée au format 2007 : Papier. Quant elle existe. Il y a quelques semaines, j’ai assisté à une scène surréaliste, lors d’un raccordement client B2B sur un “gros” RIP municipal : Dans un NRO, deux techniciens d’un sous-traitant, seulement munis d’un VFL (le crayon-laser) ont cherché “la bonne fibre” pendant plus d’une heure, l’un perché en équilibre instable sur une chaise pour trouver “le point rouge” sur un des panneaux de brassage situés en hauteur, l’autre connectant son laser visible sur chacune des jarretières optiques pendouillant le long d’une ferme à l’autre coin de la salle...
En résumé, mon constat est que 80% des techniciens “FTTH” actuellement en poste ne connaissent pas les bases : caractéristiques des fibres, précautions d’usage, parametrage des soudeuses et des testeurs optiques, etc. Les deux meilleurs exemples de cette méconnaissance : Les travaux de raccordement à même le sol ou sous la pluie, et le non-nettoyage des connecteurs.
2. L’arrivée des “Campus de Formation Plan France THD”.Depuis 2 ou 3 ans, les centres de formation dédiés “PFTHD” ont fleuri un peu partout sur le territoire. J’ai ainsi moi-même l’honneur de participer au développement d’un campus ici en Aquitaine. Juste un exemple pour illustrer la situation : Un des stagiaires de notre première promo a appris les fondamentaux des réseaux FTTH modèle ARCEP à son binôme en entreprise. Celui-ci, pourtant en poste depuis quelques années et en charge de Racc. Abonnés sur un RIP municipal, ne connaissait pas l’architecture du réseau ni les fonctions des différents éléments (NRO, PMZ, PBO). Il savait juste suivre les OT, créer (ou réparer) les liens optiques PTO-NRO, et èmettre les différents CR - ce qui est déjà très bien !
Nous sommes donc au tout début d’une nouvelle période, où les nouveaux techniciens formés dans ces campus arrivent sur le marché avec des bases théoriques et pratiques un peu plus étoffées que leurs prédécesseurs. Seulement, il va falloir “un certain temps” avant que les quinze années de mauvaises pratiques soient éliminées par ces nouveaux entrants…
A ce jour, les formations dispensées dans le cadre du Plan France Très Haut Débit sont basées sur les deux référentiels nationaux IRCC et TRCC, créés autrefois par l’AFPA. L’IRCC correspond au métier de monteur-raccordeur Cuivre + Fibre. Même si les bases sont bien présentes dans le référentiel, celui-ci n’est plus forcèment adapté aux réalités du terrain. Par exemple les aspects “Tests & Mesures” ou “Relation Client”.
Les ateliers pratiques sont nécessairement organisés autour des fameux “plateaux techniques” définis par Objectif Fibre. Censés représenter les réseaux FTTH modèle ARCEP, ces plateaux sont équipés par les campus selon leurs moyens. Du simple mur sur lequel on va installer une poignée de colonnes optiques aux modules mobiles vendus prêt à l’emploi, on trouve toutes les configurations. Les campus les mieux achalandés proposent des plateaux intérieur et extérieur, avec installations aéro-souterraines et PMZ (voire NRO), la plupart se contentent de plateaux indoor.
3. L’équipement des Campus Formation PFTHD.Dans l’idéal, tout campus devrait proposer l’ensemble des configurations Vertical FTTH potentiellement déplorables sur son territoire.
Sachant a) qu’un même OC peut intégrer plusieurs configurations matérielles selon les zones arrières de PM (capacités câbles…), avec des solutions provenant de constructeurs différents, b) que sur un même territoire plusieurs aménageurs peuvent être présents (Délégataire du RIP, opérateur de la zone AMII) avec chacun leurs propres solutions techniques, c) que sur ce territoire plusieurs OC peuvent offrir leurs services, on comprend la difficulté de proposer des plateaux techniques “exhaustifs” (investissements matériels, encombrement…).
Ajouter à cela le fait avéré qu’un stagiaire d’un centre de formation X situé par exemple en Région Parisienne peut se retrouver dès son embauche à l’autre bout de la France, la meilleure option est sans doute de proposer un ensemble de maquettes fixes représentant 80% des solutions déployées sur le territoire, et de former les stagiaires sur les techniques de base et les trucs & astuces qui leur permettront de construire sans problème un jour une colonne SFR en ZMD et le lendemain une colonne Orange en Zone AMII, et d’intervenir sur n’importe quel PM pour le compte de n’importe quel Aménageur ou OC.
J’ai quelques autres points à partager ici, une autre fois peut-être…
Au plaisir d’échanger sur ce sujet, crucial,
_Marc