Note: ce contenu vient en partie d'un livre que j'ai écrit, publié en 2003.
Les début de l'internet, c'est le choc de trois industries, totalement différentes, mais qui ont fait émerger l'Internet presque sans s'en rendre compte.
Trois galaxies, qui ont chacune leur culture, leur spécificité, et qui n’arrivent pas à se mélanger. Trois cultures qui n’ont pas compris immédiatement la puissance de leurs inventions.
Il s'agit des Télécom, de l'Informatique, et de l'Audiovisuel.
La galaxie des télécommunications est faite de tous les grands opérateurs historiques qui, de par leur position monopolistique, ont été capables de créer de grands réseaux de communication, et de toute l’industrie qu’ils ont généré. Ces réseaux furent d’abord des réseaux de téléphone, puis de données. Ce sont France Telecom, British Telecom, AT&T, et les industriels ce sont Alcatel, Nortel, Siemens, Lucent, etc. Tous ces opérateurs historiques sont encore vivants, même s’ils ont souffert directement ou indirectement de la crise. Leur problème vient beaucoup de leur structure, très peu adaptée aux contraintes du business actuel. Internet a permis à des nouveaux entrants de prendre rapidement des positions dominantes, l’exemple le plus visible (en 2003) étant Cisco qui pèse maintenant très lourd.
La galaxie de l’informatique est faite de toute l’industrie qui a construit des ordinateurs et des logiciels. Certains sont encore bien vivants, comme Microsoft, Intel, Oracle ; d’autres ont résisté en changeant de métier, comme IBM qui est passé d’un pur fabricant de matériel à une entreprise vendant des services, ou bien en fusionnant, comme Compaq et HP ; D’autres sont morts, comme Digital. Qui même se souvient de Digital (ah les VAX 711), de Compaq, voir de Sun microsystème?. C’est un monde en perpétuel renouvellement, un monde très dynamique, où les héros d’aujourd’hui peuvent disparaître brutalement, et les petits devenir de grands acteurs.
La galaxie de l’audiovisuel est faire de tous les acteurs qui gravitent autour du contenu. On y trouve surtout les groupes de presse, de plus en plus concentrés, comme Murdoch, Matra-Hachette, l’industrie de la musique, dans les mains de quelques majors comme Sony, Universal, celui du film aux mains d’Hollywood ou bien de la production Indienne, et enfin tout ce qui concerne la diffusion de ce contenu, essentiellement les chaînes de radio et de télévision. Le problème récurrent est un problème de revenus, et surtout un combat permanent entre la création et la diffusion de ce contenu.
Ces trois industries apportent chacune dans la balance un élément fondamental.
- L'informatique qui nous apporte l'interaction. Le fait de paramétrer finement un outil, l’idée d’interfaces conviviales, le multi-fenêtrage, la souris, tout ceci sont des inventions de l’informatique. Mais aussi les liens hypertextuels, cette faculté de cliquer sur un mot, une image, et de se promener dans un champ de connaissance quasiment illimité, le moteur de recherche, toutes ces inventions forment l'originalité même du monde de l’informatique. Et je dis bien interaction, pas intelligence. Un ordinateur ne contient pas d'intelligence, mais sa faculté d'interagir enrichit notre propre pensée, au travers d'un dialogue promenade avec le monde. En opposition, le monde des télécommunications, est très pauvre en interaction. Le téléphone est probablement l’objet le moins ergonomique que l’on puisse concevoir. Combien de téléphones avaient une touche « bis », service pourtant simple et utile? Je me souviens même (en 1980) d’une notice de téléphone qui expliquait que, pour rappeler un numéro, il fallait « passer en mode Q23 et appuyer sur *75# ». Le monde de l’audiovisuel n’a pas trouvé non plus son interaction simple. Le magnétoscope a toujours été trop compliqué à utiliser, et le nombre de télécommandes qui trônent sur un poste de télévision est effarant. Le monde de l’audiovisuel n’est pas structuré pour interagir, il se plait avec des utilisateurs captifs parce que passifs. Ce sont les fameux media chauds et spectateurs froids de Mc Luhan.
Les télécommunications apportent le transport, et la mise en relation. Et ce mot n'est pas neutre, car la télévision, la radio, c'est bien de la diffusion, pas du tout du transport. La télévision arrose une zone, elle n'apporte pas notre courrier. La télévision ne crée pas de liens entre les gens, à l'inverse du téléphone. Il est amusant de constater que lorsque le téléphone est né, personne ne voyait à l'époque qu'il deviendrait un outil de construction de liens sociaux. On imaginait (sic) que "grâce au téléphone, on pourrait écouter des opéras depuis chez soi sans avoir à se déplacer". Et, à l'inverse, il a fallu du temps pour s'apercevoir que les ondes électromagnétiques permettaient de faire du "broadcast", c'est-à-dire de diffuser le même message à des millions de personnes en même temps. L’attitude de l’industrie du contenu face au « peer-to-peer » montre bien l’absence de culture de la mise en relation. Le monde de l’informatique a toujours essayé de rattraper le retard sur ce sujet, mais difficilement. La première tentative a été la création du réseau local, auquel les grands de l’informatique ne croyait pas. Il leur était facile de critiquer le protocole Ethernet, d'autant plus que celui-ci a été inventé par quelques universitaires, pire encore, situés dans les îles Hawaï. Microsoft a du faire des efforts énormes pour que son logiciel d’exploitation Windows puisse fonctionner correctement en réseau. La philosophie de Bill Gates « un PC et une imprimante sur chaque bureau » n’intègre pas du tout la collaboration.
- L'audiovisuel apporte du contenu, c’est-à-dire du plaisir, de la beauté, des sensations, en bref du sens. Ce contenu a longtemps été cloisonné. On écoutait un beau morceau de piano à la radio, mais sauf à avoir entendu le début, il n’y avait aucun moyen de savoir de quel morceau il s’agissait, qui jouait, quels autres disques le pianiste avait enregistré, en bref toute l’intelligence autour du morceau. Le contenu est en perpétuel re-création. Le monde de l’informatique ne nous a apporté aucun contenu intéressant, ce n'est pas son rôle. Quand au monde des télécommunications, son seul contenu est l’annuaire, dont il est vrai que les personnages sont riches, mais que l’intrigue est plutôt pauvre.
Il est important de constater que toute tentative d’intégration verticale des trois mondes dans un même groupe s’est soldé par un échec, comme le montrent les exemples de Vivendi Universel et d’AOL. Microsoft s’est aussi brûlé les doigts, avec l’échec de MSN.
Il y eu des fusions technologiques:
- Informatique plus Télécom => la Télématique (le célèbre Minitel, belle invention technologique, mais au modèle économique idiot, basé sur la minute)
- Télécom plus Audiovisuel => la diffusion par Satellite, inauguré en grande pompe par feu la Reine d'Angleterre lors de son coureonnement (chapeau à elle)
- Audiovisuel plus Informatique => le CD-ROM, magnifique instrument de savoir.
Et d'ailleurs ces trois belles inventions ont disparus ou sont en voie de disparition aujourd'hui, tués par Internet.
Ces trois mondes resteront distincts, C’est pourquoi on parle, pudiquement, de « convergence » des trois mondes. La convergence, c’est un terme trop diplomatique pour être neutre. La convergence, c’est quand l’autre ou les autres sont trop forts pour être absorbés. Lorsqu’on veut dominer l’autre, voire l’absorber, on parle d’amitié, pas de convergence.
Et ces trois fées en engendré l'Internet...
La suite au prochain numéro.
Histoire des télécoms