Le journal La Charente Libre a publié avant-hier un article édifiant sur l'état de la sous-traitance dans le déploiement FTTH, dus aux nouveaux contrats imposés par Orange, avec une division par 2 des rémunérations. Cela a déjà coûté pratiquement son existence à la Scopelec. L'autre sous-traitant qui reste, la Sogretel, impose des conditions draconiennes à ses sous-traitants de rang 2, et souvent accumule les retards de paiement, ce qui les met au bord de la faillite. Orange, qui fait 80% des déploiements, est en quasi situation de monopole sur le marché, et peut imposer ses prix, surtout qu'en face il y a XP Fibre (Altice), peu connu pour sa bienveillance à l'égard des sous-tratants.
Pas étonnant ensuite que la qualité des réseaux FTTH souffre.
Y aura-t-il une intervention de l’état et.ou l'ARCEP sur ce marché ?
A la fin de l'article, l'auteur donne la parole à un de ces sous-tratants, avec la réponse de Sogetrel.
Télécoms : la jungle de la sous-traitance fait des dégâts jusqu’en Charente
Les nouveaux contrats de pose de fibre entre Orange et Sogetrel lèvent le voile sur la jungle des télécoms. Des dizaines de sous-traitants indirects charentais luttent pour leur survie. Une souffrance qui touche patrons et salariés.
Guillaume, technicien, n’est qu’au bout de la chaîne. Alors il trinque. « Trois mois que je ne suis pas payé. J’en suis venu à demander des avances aux parents. Je n’ai jamais connu de situation plus critique. » Le crime de l’Angoumoisin : être une fourmi dans la jungle des télécoms. Son employeur, Innova Inneo Tech, petite société d’à peine un an installée à Angoulême, agit ‘‘dans le domaine de l’exploitation et de la maintenance des réseaux fixes’‘ à l’image de 250 sous-traitants indirects d’Orange en France. Entre les deux, un intermédiaire : Sogetrel, spécialisé dans la fibre, qui a perdu fin 2021 le marché Orange dans le Nord et les Pays de la Loire, replié désormais vers les marchés du Sud et du Sud-Ouest. Un rebond très profitable localement après la chute de son concurrent historique, Scopelec, contraint de lancer un plan social (800 sur 3 000 concernés). Depuis Guillaume, la pyramide est vertigineuse mais elle peine à masquer ce que certains considèrent comme une véritable « anarchie » du secteur où pressions, intimidations et cessations de paiements viennent à bout des petites entreprises et contraignent patrons et salariés à fuir la branche, réputée hier encore comme une mine d’or.
Secteur instable
Retour en arrière. Le 17 mars dernier, Scopelec (41 employés sur le site d’Angoulême) obtient auprès du tribunal de commerce de Lyon son placement sous sauvegarde. Lâchée par Orange, la première scop de France a perdu 65 % de ses contrats et constate une baisse vertigineuse de son chiffre d’affaires de l’ordre de 40 %. Le géant des télécoms impose en effet son souhait de renouveler le système contractuel avec ses sous-traitants de rang 1, Sogetrel en tête, dans le domaine de l’exploitation et de la maintenance des réseaux fixes (cuivre et fibre). Le dispositif, dénommé « RC Centric », entre en vigueur le 1er avril dernier et bouleverse la donne. « Depuis, c’est l’anarchie dans un secteur devenu complètement instable », constate Laila Costa Pereira à la tête de TPMG Energiesprésidente et présidente de l’association France Sous-Traitance.
La jeune patronne a créé ce rassemblement au lendemain des discussions, ‘’pour défendre les intérêts de toutes les entreprises qui interviennent dans les réseaux de télécommunications’‘, une première dans cet environnement économique : « On s’est rendu compte que ces nouveaux contrats stipulaient des prix divisés par deux comparé à l’époque Scopelec, observe-t-elle. On assiste à une situation de monopole où les sous-traitants de second rang, ceux à qui Sogetrel fait désormais appel, constatent une chute des revenus considérable pour les raccordements à la fibre optique. » En somme, la situation, dans un univers où la régulation est quasiment absente, où l’État peine à arbitrer les négociations, est devenue intenable.
Travail à perte
En quelques mois, notre chiffre d’affaires mensuel est passé de 400 000 euros à 10 000 euros.
Alan Ménielle est à la tête de DAM Telecom à Angoulême. Dans sa trésorerie, les retards de paiement de la part de Sogetrel s’accumulent : « Cela me fait 30 000 euros en moins que je n’ai toujours pas touché, confie-t-il. Le volume de commande, quant à lui, est trop peu conséquent. » Du côté de l’entreprise DLF réseaux, qui œuvre en Charente et Charente-Maritime, l’un des plus importants sous-traitants du Sud-Ouest, ces retards prennent une tout autre ampleur. Elle atteste un manque à gagner de près de 3 millions d’euros. « En quelques mois, notre chiffre d’affaires mensuel est passé de 400 000 euros à 10 000 euros, évalue le patron Sabeur Benzaaza. On assiste à la mort du secteur. J’ai complètement arrêté de travailler avec Sogetrel. Je suis encore dans l’attente de paiement de leur part pour des contrats signés en avril. » Pire, le chef d’entreprise et ses quarante salariés font l’objet de pressions, de chantage à la régularisation si les marchés ne sont pas acceptés : « Ils manœuvrent afin d’inciter les salariés à travailler chez la concurrence, avance-t-il. En 10 ans d’activité, je n’ai jamais vu ça. » Pour ces petits sous-traitants, les choix s’amenuisent, au fil des factures et des crédits qui s’amoncellent. « Soit on ne paye pas les salariés, soit c’est le plan de redressement, confie Laila Costa Pereira. Je me donne encore pour ma part jusqu’à fin septembre. »
Même son de cloche auprès des dirigeants d’Innova Inneo Tech. Suivie par l’Inspection du travail, l’entreprise, au bord du redressement, assure vouloir « payer ses salariés », trouver des solutions pour pérenniser des contrats. « Une réaction logique quand on arrive tout juste dans le milieu, estime Laila Costa Pereira. Sogetrel est souvent le seul client, le perdre, c’est tout perdre. »
“Un contrat Sogetrel, ça ne vaut rien”
RC Centric, les mots de tous les maux. Ce sont ces contrats conclus entre Orange, Sogetrel et ses propres sous-traitants, aux opérations obscures qui tendent à mettre en danger de disparition des petites sociétés. La pratique semble dépasser l’entendement tant elle met à mal tout un pan de l’activité. Des pénalités et des indicateurs clés de performance, imposés dans les nouveaux tarifs, poussent les petites sociétés à travailler à perte. « On sort plus d’argent que l’on en rentre », déplore Sabeur Benzaaza. « En gros, l’intervention sur site est facturée 172 euros, poursuit Laila Costa Pereira. Avec cette somme, on doit payer les charges, les machines, la location du matériel et si, pour des raisons quelconques, on doit intervenir le lendemain seulement, on prend une pénalité de 40 %. Quand je me présente devant une banque, on me rit au nez. Un contrat Sogetrel, ça ne vaut rien. »
Sogetrel : « Il ne faut pas résumer un contrat à son prix »
Si de nombreux acteurs se disent asphyxiés par les nouveaux prix pratiqués, pour Sogetrel, le constat est ailleurs. La société reconnaît « une période de fortes turbulences » mais botte en touche à la question épineuse des conditions de travail sur le terrain. « On a toujours proposé des contrats longs, veut avancer Lionel Carrère, directeur des opérations Grand Sud Ouest chez Sogetrel. Ils ne sont pas à résumer à un prix. Nous avons toujours été dans l’accompagnement, l’aide aux entreprises pour les soutenir dans leur développement et la montée en charge. » Le directeur dit « se refuser à tout commentaire » quant aux accusations de France Sous traitance. Il évoque plutôt un manque d’adaptation des petites sociétés et techniciens face aux exigences d’un secteur en plein changement. « On est en pleine transition du cuivre vers la fibre, insiste-t-il. La qualité des prestations ne peut se penser sans la satisfaction client. Désormais, il faut aller vite. Certaines entreprises ont du mal, il y a certainement aussi un problème de formation. Dans cette branche, les tensions sont cycliques, tout finira par rentrer dans l’ordre. »
Source : charentelibre.fr Henry GIRARD, publié le 14 septembre 2022