Vu la baisse des prix, vaut-il mieux prolonger les anciens réacteurs nucléaires, très rentables, ou en construire de nouveaux, difficilement rentabilisés ?Le Figaro a sorti un article, d'Etienne Bertier, ancien secrétaire général d'EDF, évoquant ce problème de baisse des prix (éventuellement négatifs), et concluant que pour EDF cela pose question, que construire de nouveaux EPR(2) très chers, qui ne pourront peut-être jamais être rentabilisés avec des prix nécessaires de 100 € le MWh, et que l'option pour EDF serait de maintenir le plus longtemps possibles les réacteurs actuels, déjà rentabilisés, jusqu'à éventuellement 80 ans.
Mais je pense que ce serait très risqué, car tous les réacteurs sont pratiquement du même âge, et ne sont pas à l'abri du même défaut qui apparaitrait partout, comme cela a été le cas de la corrosion sous contrainte, qui obligerait à les arrêter, soit pour une grosse maintenance, soit même pour définitivement si impossible à réparer (exemple fissures de la cuve). Et aussi, ce serait perdre complétement les compétences dans la construction de nouvelles centrales nucléaires.
De plus, il faudra bien arrêter un jour ces réacteurs, et il vaudra mieux en avoir de prêts à ce moment là (ou compter sur une 4eme génération comme les réacteurs à sels fondus ?), ce qui est plutôt aléatoire.
«Les prix de l'électricité baissent : une chance pour la France, un dilemme pour EDF»
Par Etienne Bertier - le 16/05/2024
FIGAROVOX/TRIBUNE - L'entreprise publique doit garder son rang de leader mondial et incontesté du nucléaire. Pour ce faire, il préconise de remettre sur pied nos centrales, explique Étienne Bertier, ancien secrétaire général d'EDF.
8 milliards d'euros ! C'est le montant de la commande record qu'EDF a passé fin avril à sa filiale Framatome pour la mise en chantier des cuves des six futurs EPR du nouveau programme nucléaire français. Un montant colossal par lequel EDF veut prouver son engagement en faveur du nouveau nucléaire pour des centrales qui ne seront couplées qu'en 2040, au mieux !
Mais faut-il vraiment se hâter ? Peut-être pas, car depuis dix-huit mois les prix de gros de l'électricité… s'effondrent. Des hauteurs stratosphériques qu'ils avaient atteintes (plus de 1000 euros le mégawatt-heure en août 2022), les prix de gros ont fondu depuis (entre 70 et 80 euros le mégawatt-heure) !
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Frottons-nous les mains ! Les ménages vont profiter de cette baisse et retrouver du pouvoir d'achat, du moins si les fournisseurs indépendants et Enedis jouent le jeu et que l'Etat n'augmente pas les taxes sur l'électricité.
Les PME vont respirer et réembaucher. Mais surtout de nouvelles usines vont pouvoir sortir de terre en Europe sous la baguette magique de la fée électricité qui leur offrira son courant à des conditions compétitives.
Bercy a bien compris qu'il y avait là un atout unique en faveur de la réindustrialisation de la France, qui demande à EDF de signer des contrats à long terme avec ses grands clients. Bruno Le Maire fronce même les sourcils devant le peu de contrats signés entre les industriels et l'opérateur public.
Pour EDF l'équation est délicate. De l'aveu d'EDF et de l'avis général, un prix de gros de 70 euros par mégawatt-heure permet à EDF d'être rentable (la CRE par exemple évalue le coût complet du nucléaire existant à 60 euros). C'est sur ce prix de 70 euros que l'Etat et EDF ont basé l'accord de novembre 2023 dit de «market design» qui doit permettre de mettre fin au système de l'Arenh, spoliateur pour EDF. Mais le coût du nouveau nucléaire est, lui, bien supérieur. Sans doute nettement au-delà de 100 euros (si l'on en croit les chiffres des projets de centrales nucléaires d'EDF au Royaume Uni). Or EDF s'apprête à construire au moins six nouvelles tranches nucléaires (l'EPR2), éventuellement suivies par huit autres. Ces centrales, même à l'état de projet, tireront, elles aussi, les prix vers le bas. Dilemme : pour construire il faut financer et pour financer il faut des prix élevés, or construire de nouveaux réacteurs contribuera à faire baisser les prix.
Aujourd'hui EDF prévoit d'investir sensiblement les mêmes sommes dans les nouveaux EPR2 et dans la prolongation de son parc. 70 milliards dans les deux cas ! Mais ces 70 milliards seraient investis beaucoup plus rapidement dans le programme de construction des nouvelles centrales ERP2 que dans la prolongation du parc, opération dite du «grand carénage» qui se finance au fil du temps. Et cela malgré le fait que le retour sur investissement d'un euro investi dans la prolongation des centrales existantes soit bien supérieur à celui d'un euro investi dans une nouvelle centrale. C'est d'ailleurs ce qui avait été pointé dès 2014 par la commission d'enquête parlementaire présidée par le député PS François Brottes.
Une vision objective du marché devrait donc conduire EDF à privilégier le grand carénage ceci afin que les centrales françaises atteignent les 60 ans de durée de vie souhaitée par la Commission de régulation de l'électricité et EDF, voire les 80 années d'exploitation que sont en train d'obtenir plusieurs centrales aux États-Unis. Et à prendre son temps pour lancer les nouvelles centrales dont les coûts de production seront plus chers que le prix du marché. Un tel scénario aboutirait sans doute à contenir la dette d'EDF alors qu'aller à toute vapeur vers le nouveau nucléaire la fera s'envoler. Dans un pays surendetté comme le nôtre, est-il raisonnable de laisser s'envoler la dette d'EDF, assimilable, depuis la renationalisation à 100%, à la dette publique.
De 1974 à 1985, le France s'était équipée de 58 réacteurs nucléaires faisant d'EDF le premier électricien du monde ! L'entreprise publique doit garder son rang de leader mondial et incontesté du nucléaire. Chacun en convient. Et pour cela il faut construire de nouvelles centrales. Certes ! Seulement, cette fois, il faut se hâter comme la tortue ; lentement !https://www.lefigaro.fr/vox/economie/les-prix-de-l-electricite-baissent-une-chance-pour-la-france-un-dilemme-pour-edf-20240515Une remarque : la mise en service de l'EPR de Flamnaville, de puissance 1.6 GW, dans un contexte de surproduction, risque aussi de peser sur les prix.