INTERVIEW « Nous ne maximisons pas le montant des enchères 5G », affirme Agnès Pannier-Runacher
Le processus d'enchères pour des fréquences 5G est enclenché. Dans un entretien aux « Echos », Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, assure que le prix à partir duquel les enchères doivent démarrer, soit 2,18 milliards, est « raisonnable ». La technologie ne sera pas commercialisée avant fin 2020.
L'Arcep et le gouvernement ont lancé le processus d'attribution des enchères 5G aux opérateurs télécoms. Dans un entretien aux « Echos », Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, estime que le prix plancher, fixé à 2,18 milliards, est « raisonnable ». Elle assure qu'elle n'a fait « aucune projection financière à l'issue des enchères ». « Ce n'est pas ce qui me fait lever le matin », dit-elle.
L'enjeu est fort autour des enchères 5G pour les télécoms. Qu'en attendez-vous ?
La France sera au rendez-vous de la 5G. Le gouvernement et l'Arcep ont conçu un mécanisme inédit en Europe, qui permet de vendre aux quatre opérateurs télécoms des blocs de 50 MHz à prix fixe avec, en contrepartie, des obligations claires de déploiements sur le territoire. C'est une vraie logique de service public. En complément, nous favorisons la concurrence pour les enchères sur les 110 MHz restants. Au final, nous fixons des engagements de couverture en 5G bien plus ambitieux que dans d'autres pays, tout en valorisant correctement les fréquences, qui sont le patrimoine des Français.
A quel prix les opérateurs pourront-ils acheter les fréquences ?
La Commission des participations et des transferts (CPT), autorité indépendante chargée de donner un avis sur la valeur minimale en dessous de laquelle ne peut être cédé ce bien public, a fixé ce montant à 2,18 milliards pour la totalité des 310 MHz disponibles. Nous allons donc proposer que chacun des quatre opérateurs achète un premier bloc de 50 MHz pour 350 millions. C'est très attractif. En Allemagne, les opérateurs ont dû débourser deux fois plus pour la même quantité. Le solde de 110 MHz sera ensuite vendu aux enchères par tranches de 10 MHz, à partir de 70 millions chacune.
Le président de l'Arcep estimait que 1,5 milliard d'euros était « un grand maximum »…
Le plancher que nous soumettrons à la concertation nous semble raisonnable. Nous sommes plus proches de 1,5 que de 3 milliards, comme nous l'avions dit dès avril. Nous ne maximisons pas le montant des enchères, nous faisons ce que nous avons dit. Chacun est dans son rôle. L'Arcep connaît très bien les contraintes des opérateurs. La CPT analyse le prix en dessous duquel le patrimoine des Français ne lui semble pas devoir être cédé. Le gouvernement prend ses responsabilités et tranche.
Y a-t-il un risque que le régulateur donne un avis négatif sur ce prix ?
L'Arcep se prononcera, c'est son rôle, mais son avis n'est pas liant. Le prix de la CPT, c'est le plancher en dessous duquel cette autorité indépendante estime que les Français seraient lésés. Rappelons que c'est leur argent : cela veut dire moins d'impôts ou plus de services publics ! A l'approche du lancement des enchères, il y a une « dramatisation » des positions et beaucoup de pression. C'est normal. Mais ce que nous proposons aujourd'hui allait très bien il y a six mois.
Avec un prix plancher de 2 milliards, est-ce que vous ne visez pas des recettes finales de 4 milliards pour renflouer l'Etat ?
Je n'ai fait aucune projection financière de l'issue des enchères. Ce n'est pas ce qui me fait lever le matin. Et quel que soit le résultat, un raisonnement budgétaire n'aurait pas une grande portée. En effet, les licences sont accordées pour quinze ans. Vendre 1 milliard plus cher revient donc à ajouter 67 millions au budget de l'Etat par an. Ce n'est guère significatif…
Les opérateurs télécoms disent qu'un bloc de 50 MHz n'est pas suffisant pour faire de la 5G…
Les comparaisons internationales montrent que ce raisonnement-là est fragile. 50 MHz, c'est le point de sortie des enchères de pas mal d'acteurs à l'étranger. En Allemagne, le quatrième acteur qui investit très fortement dans la 5G est à 50 MHz et Free, en Italie, est positionné sur 20 MHz. Si on attribuait sans enchères quatre blocs de 60 MHz, cela réduirait la possibilité pour les opérateurs qui en ont les moyens d'envisager des services additionnels en 5G. Alors qu'à 50 MHz, compte tenu de la montée en charge de la 5G, la saturation n'est pas à l'ordre du jour. Un bloc de 50 MHz permet d'atteindre 830 mégabits par seconde de débit crête. Même en jouant à des jeux vidéo en réseau avec un maximum d'immersion, il faudra s'accrocher pour atteindre un tel débit. Les opérateurs le reconnaissent. L'enjeu est surtout marketing.
A l'issue de l'attribution, un opérateur pourrait avoir deux fois plus de fréquences qu'un autre. Est-ce que cela ne va pas faire monter les prix pour le consommateur ?
Je ne crois pas. Avec 50 MHz, vous pouvez servir le grand public et les entreprises en 5G. En tant que « petit » opérateur, votre avantage concurrentiel sera justement de maintenir les prix bas. A l'opposé, si un acteur achète 100 MHz, c'est qu'il a la perspective de fournir des services additionnels et la capacité d'investir dedans. Je ne veux pas freiner cela et empêcher les meilleurs de se positionner. Soutenir le contraire serait une position incongrue, surtout de la part de grands capitaines d'industrie.
Un autre dossier inquiète : le cas Huawei. Les opérateurs se plaignent de ne pas savoir s'ils pourront utiliser ou non les équipements du géant chinois…
La position du gouvernement est claire. Par principe, il n'y a pas de bon et de mauvais équipementiers. Et cela d'autant plus que là, on signe pour quinze ans, voire vingt ans. Bien malin celui qui saura ce que sera devenu tel ou tel équipementier d'ici là.
Notre préoccupation première, c'est la sécurité des Français. La loi sur la sécurité des réseaux mobiles que nous avons promulguée cet étérépond aux défis posés par la 5G. Les opérateurs demanderont une autorisation pour chaque équipement en fonction de ses caractéristiques techniques mais aussi des conditions d'exploitation indiquées par l'opérateur.
Notre cadre est prêt. Le décret d'application a été validé par le Conseil d'Etat mardi 19 novembre après concertation avec les opérateurs. Il sera publié dans les prochains jours.
Cette loi est-elle suffisante ?
En France, les règles sont désormais connues et cela se passera bien. Mais la sécurité de la 5G va bien au-delà de la loi. Les clients des opérateurs télécoms seront extrêmement attentifs à leur sécurité en 5G. A fortiori les grands clients industriels. Par ailleurs, des pays [les Etats-Unis, l'Australie, NDLR] ont pris des décisions très directes sur certains équipementiers, qui peuvent les impacter dans le futur. La sécurité de la 5G est un très bon sujet pour les conseils d'administration des opérateurs télécoms ! Comment anticiper les risques liés à chaque équipementier ? Comment mettre en place en interne les bonnes équipes pour les accompagner ? Quel plan B en cas de difficulté de tel ou tel équipementier ?
La loi, s'appliquant par définition sur tout le territoire, va-t-elle faire sauter les lignes rouges existantes, qui interdisaient par exemple aux opérateurs d'installer des équipements Huawei à Paris ?
Les autorisations prendront en compte les conditions d'exploitation : où l'équipement est placé, comment il est opéré, et pour combien de temps. A ce stade, les opérateurs n'ont pas installé d'antennes Huawei à Paris, ni des coeurs de réseau.
Quelles retombées économiques attendez-vous pour la France avec la 5G ?
Il est difficile de chiffrer précisément les retombées économiques à date, mais j'en attends davantage d'attractivité pour l'investissement étranger en France et une accélération pour les usages industriels 4.0 et les activités de type logistique. Cela nous permettrait de gagner en compétitivité : en logistique, par exemple, nous sommes aujourd'hui 15 à 20 % plus chers que nos voisins.
Il nous faut collectivement réfléchir à la manière dont les entreprises vont s'approprier cette nouvelle technologie. Les deux doivent avancer en parallèle car c'est un élément clé pour l'attractivité de la France. Tout ce qui nécessite d'être mobile va être bouleversé. En Corée du Sud, la première chose qui a flambé, c'est l'usage de l'image et des loisirs. Si nous arrivons à ce que les entreprises s'emparent de la 5G comme élément de leur stratégie, cela peut être un accélérateur massif de compétitivité. Si elles restent à distance, en revanche, nous auront les infrastructures mais peu de retour sur investissement.
Cette technologie peut aussi devenir un instrument pour désenclaver les territoires. On peut imaginer un chirurgien expert conduisant une opération avec un robot qui fonctionne avec de la 5G à l'autre bout de la France.
Comment faire dans l'immédiat ?
Depuis le premier janvier, les entreprises peuvent utiliser les fréquences sur la bande du 26 GHz pour faire des expérimentations. Nous essayons d'enrôler le maximum de profils (ports, médias, événementiel, sport) et de développer les « bacs à sable » qui permettent de tester la 5G. Les questions d'usage doivent être envisagées dès maintenant, c'est ce qui crée le marché, le retour sur investissement.
Cela suppose de régler la question de l'acceptabilité ?
Lorsque vous dites « nous allons utiliser une technologie beaucoup plus puissante », notre premier réflexe est de penser : plus d'ondes, plus de rayonnements, plus de risques. Or, ce n'est pas si simple : contrairement à la 4G, la 5G ajuste en permanence la quantité d'ondes vraiment utiles.
Face à cette question, nous avons saisi l'Agence nationale des fréquences (ANFR) qui gère l'ensemble des fréquences radioélectriques en France. Elle est chargée de faire les mesures et de nourrir l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). L'Etablissement public chargé d'évaluer les risques pour la puissance publique fait des revues de la recherche mondiale sur l'exposition aux ondes. Les données sont constamment mises à jour.
Évidemment, nous avons encore peu de recul sur la 5G, mais nous mettons à jour les protocoles. La concertation a également commencé entre la direction générale des entreprises (DGE) et les ONG. Avec France Nature Environnement (FNE), par exemple, nous avons eu un débat sur l'impact des nouveaux usages, le rapport des jeunes au digital, leurs usages et la manière dont ils sont exposés. Ce n'est pas seulement la question des antennes et des téléphones, des ondes et de l'effet ou non sur le cerveau des enfants. La 5G est une technologie de rupture, et nous devons accompagner les changements d'usage.
Source : Les Echos, le 24 novembre 2019, par Fabienne Schmitt, Raphaël Balenieri, Julie Chauveau, Sébastien Dumoulin