Auteur Sujet: Genèse Google  (Lu 4895 fois)

0 Membres et 1 Invité sur ce sujet

Anonyme

  • Invité
Genèse Google
« le: 02 mai 2017 à 15:15:42 »
Nous sommes allés à la rencontre de Serge Abiteboul, chercheur et informaticien français à Inria et à l'ENS, ancien titulaire de la Chaire d’informatique et Sciences Numériques du Collège de France, récemment co-auteur avec Gilles Dowek du livre « Le temps des algorithmes », et avec Valérie Peugeot de « Terra data ». Son parcours et son histoire atypiques nous ont bluffés. Serge Abiteboul a vécu le Stanford de Larry Page et Sergey Brin à la fin des années 90. Dans cette interview il nous raconte cette époque et la “révolution de pensée” qu’a permis l’arrivée des algorithmes. Une révolution que nous craignons et aimons à la fois et qui n’a pas fini de se développer et de nous étonner.

Vous êtes parti en Californie dans les années 80…
J’étais aux Etats-Unis au début des années 80 – je faisais ma thèse à Los Angeles – et c’est seulement à mon retour en France que j’ai pu constater le gros décalage de l’époque entre la France et les Etats-Unis en matière d’informatique. Pour vous donner une idée, lorsque j’habitais aux Etats-Unis, j’envoyais des emails régulièrement à d’autres chercheurs partout dans le monde. A la même période en France, les rares chercheurs qui utilisaient l’email ne pouvaient le faire le plus souvent qu’au sein de leur organisation. Le web, quant à lui, n’existait pas encore.
 
Comment êtes-vous arrivé en 1995 à Stanford ?
Je suis retourné aux Etats-Unis pour des raisons personnelles : en fait, j’ai suivi ma femme qui allait développer une branche d’une start-up française à Palo Alto. J’ai trouvé du travail rapidement, comme professeur invité au département d’informatique de Stanford.
 
C’était en pleine bulle Internet, non ?
Il y avait un dynamisme extraordinaire à Stanford. Dans le groupe de recherche auquel j’appartenais, plusieurs start-up étaient créées chaque année – par exemple, l’un des doctorants d’alors, Anand Rajaraman, a créé un comparateur de prix très vite racheté par Amazon. Me trouvant au cœur de cet écosystème, j’étais persuadé que c’était la normalité de Stanford. Mes collègues plus âgés m’ont expliqué par la suite qu’il s’agissait en réalité d’un âge d’or… j’ai eu une chance extraordinaire !
 
En 1996, vous étiez présent lors de la première démonstration du moteur de recherche qui allait devenir Google, par Larry Page et Sergey Brin (alors doctorants dans votre groupe de recherche). Etait-ce impressionnant ?
Il faut savoir que nous nous préparions à cette annonce car Brin et Page nous avaient déjà expliqué le concept en groupe de travail en petit comité. En réalité, j’ai quand même été bluffé par la qualité des résultats de leur moteur. A l’époque, nous avions plutôt l’habitude de la médiocrité des résultats des moteurs de recherche, mais avec Google c’était vraiment différent.
Concernant Brin et Page, je pense qu’il est important de retirer des esprits l’imagerie populaire des deux autodidactes dans leur garage qui ont trouvé seuls un algorithme révolutionnaire. Ils n’étaient ni autodidactes, ni dans un garage ! Il s’agissait de deux étudiants brillants qui travaillaient dans les locaux de Stanford et étaient aidés par l’université et les professeurs qui leur prêtaient des locaux et les machines dont ils avaient besoin. A l’époque également, des industriels venaient en permanence dans nos groupes de travail (alors qu’en France, je n’en ai vus que très rarement !), c’était un échange très enrichissant pour tout le monde. C’était le cœur d’un écosystème bouillonnant et très stimulant.
En fait, Brin et Page ont trouvé leur idée originale dans un papier de John Kleinberg d’IBM. Leur idée brillante a été de reprendre l’algorithme “HITS” de Kleinberg, de le simplifier et de l’appliquer à l’échelle du web afin qu’il puisse classer des millions de pages (ce n’était pas encore des milliards). Il faut avouer que Brin et Page ont eu, en plus de la modification de l’algorithme, de très belles idées comme l’utilisation de grappes d’ordinateurs basiques plutôt que de se reposer sur des serveurs très puissants, et de s’appuyer sur le faible coût des mémoires.
 
Est-ce que vous aviez pressenti l’ampleur de Google à l’époque ?
Est-ce que l’on pouvait savoir que ça allait marcher ? Oui, on le savait déjà. Pouvait-on prédire une telle réussite ? Non, car la réussite n’est pas venue que du moteur de recherche… Très rapidement, ils ont construit leur business model sur la pub, et c’est grâce à ça qu’ils ont fait fortune.
Je vous disais que nous n’avions pas prévu le niveau du succès, c’est vrai… néanmoins il y a eu un moment donné où tous les étudiants et les profs de notre groupe souhaitaient partir travailler chez Brin et Page. Le responsable du groupe a dû appeler Brin et Page pour leur demander d’arrêter de nous débaucher pour ne pas mettre en péril la survie de l’équipe. Sans ça, beaucoup d’entre nous aujourd’hui seraient multimillionnaires à l’heure qu’il est !
 
Et à l’inverse, en regardant rétrospectivement, l’ampleur prise par Google aujourd’hui vous étonne-t-elle ?
Ils ont réussi deux choses très différentes : le fait de créer une start-up et le fait de construire un empire – avec tous les nouveaux services qu’ils ont ajouté petit à petit. Pour ma part, je vais vous parler de ce que je connais un peu, à savoir créer une start-up. Ils sont partis d’un besoin criant : le web était génial mais il lui manquait un truc, un bon moteur de recherche. Ils ont senti le besoin très net de trouver la bonne information dans une masse considérable et ont développé une technologie géniale. Personnellement, je trouve que l’algorithme de Kleinberg modifié par Brin et Page est réellement l’un des plus beaux algorithmes que je connaisse


Algorithme Pagerank Kleinberg
http://www.cs.cornell.edu/home/kleinber/auth.pdf
« Modifié: 02 mai 2017 à 15:24:17 par Nico »