Auteur Sujet: Internet en Afrique : pourquoi c'est aussi cher  (Lu 6802 fois)

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vivien

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Internet en Afrique : pourquoi c'est aussi cher
« le: 26 août 2008 à 07:51:02 »
Un article intéressant sur la fracture Nord-Sud d'Internet :

5 - Que se passe-t-il dans les pays èmergents ?

Ce qui a été expliqué plus haut a des conséquences qui rendent les communications nationales et internationales bien plus chères pour les pays en développement et paradoxalement imposent au Sud de financer le Nord...
Au début des télécommunications téléphoniques, l’approche par demi-circuit avait pour conséquence que les pays qui appelaient le plus payaient le plus. Cela se traduisait par un flux financier Nord-Sud dans le cas des télécommunications téléphoniques, jusqu’à ce que la dérégulation change la donne.
Dans le monde de l’internet, l’arrivée des IBP puis des accords de peering payant à partir de 1997, ont conduit à une situation radicalement inverse où le Sud finance le Nord !

5.1 - Le trafic international - et même une partie du trafic national - est payé exclusivement au Nord par le Sud
1-Les IBP étant principalement américains, le transit Nord-Sud, par exemple entre l’Afrique et les Etats-Unis est payé par les pays africains, que ce soit dans un sens ou dans l’autre.
2-La plupart du temps, le trafic entre les différents pays africains, même voisins, passe par des IBP qui le réacheminent par le Nord et font ainsi payer deux communications internationales.
3-Dans un certain nombre de cas, les réseaux des FAI sont reliés au reste du monde exclusivement par satellite. Lorsque les réseaux des grandes viles ne sont pas reliés entre eux par des fibres optiques, les FAI doivent alors utiliser leurs liaisons satellitaires achetées au Nord également pour les liaisons nationales.
4-De même, lorsqu’il n’existe pas de point d’interconnexion, les échanges entre FAI du même pays doivent utiliser un point d’interconnexion... du Nord. Chacun d’eux doit alors utiliser sa bande passante internationale et payer très cher un IBP.

5.2 - Le coût de la bande passante internationale n’est pas le même lorsque l’on est au Nord ou au Sud
La situation est aggravée par un autre problème : du fait de la position quasi monopolistique des IBP et du rapport de force Nord-Sud dans les télécommunications, les tarifs sont non négociés. Les trafics des pays en développement sont trop faibles pour que les acteurs aient une capacité de négociation. Les prix pour les Africains sont plus élevés que ceux proposés pour le reste du monde.
La situation est particulièrement cruciale dans le domaine des satellites, seule solution le plus souvent lorsqu’il n’existe pas d’infrastructure en fibre optique : ainsi, non seulement le matériel coûte plus cher du fait des taxations et la mise en place d’une connexion satellite spécifique pour l’Afrique est plus chère du fait du moindre trafic que sur des liaisons satellite au Nord ; mais de façon encore plus incroyable, les réseaux satellitaires mondiaux constitués de flotte de satellites et dont la bande passante devrait normalement coûter le même prix partout, reviennent environ quatre fois plus cher lorsque l’on est en Afrique.

5.3 - La fibre optique existe en Afrique mais n’est pas moins chère que le satellite
Depuis avril 2002, une Fibre Optique a été posée autour de l’Afrique. Elle part du Portugal, fait le tour du continent et rejoint ensuite l’Asie (Sat3 WASC Sake). Elle permet aux pays proches de l’océan qui y sont connectés et à certains pays plus à l’intérieur (qui s’y sont reliés en posant une fibre optique qui traverse les pays côtiers), de ne pas avoir à utiliser le satellite pour leur transit international. Cependant, suivant une estimation faite par Laurent Gilles de l’ENST, le coût n’a pas baissé pour autant :
Le coût d’un Megabit/seconde pendant un mois sur cette Fibre Optique est 3000$ si l’on prend un amortissement sur 5 ans des 300M$ investis
De plus la passerelle qui permet de relier les différents FAI à la fibre optique est le plus souvent un monopole local.
Le prix du Megabit/seconde par satellite est sensiblement identique et même moins cher : entre 2000 $ à 3000 $ par Mbit/s
Cependant, une fois la fibre amortie (selon ce calcul : en 2007) le coût devrait théoriquement être divisé par 3...

5.4 - Le coût pour l’Afrique
Une estimation réalisée en 2003 donne un coût pour l’Afrique de 400 millions $ par an ! Même si le coût du transit baisse, les pays èmergents doivent rationner leurs communications.
Il est instructif de comparer sur cette base les coûts des fournisseurs du Nord et du Sud pour un service équivalent. Ceux-ci se répartissent en trois coûts : les opérations, les connexions nationales et les connexions internationales. En donnant une base 100 pour les coûts d’opération, on obtient la comparaison suivante :
Pays de l’OCDE : opérations = 100 + connexions nationales = 12,5 + connexions internationales = 12,5
Pays en voie de développement : opérations = 100 + connexions nationales = 100 + connexions internationales = 200
Du fait des distorsions de concurrence entre le Nord et le Sud, il revient plus de trois fois plus cher de se connecter à l’internet au Sud plutôt qu’au Nord...

5.5 - Mettre en place des points d’interconnexion pour faire baisser les coûts
S’il y avait plus de trafic, ou même une mutualisation des trafics, il y aurait plus de possibilités de négociation. Le pouvoir des IBP est lié à la rareté des points d’interconnexion.

Comment baisser les coûts : l’exemple de la Mongolie En Mongolie, avant 2001, tous les FAI devaient utiliser une connexion satellite pour leur trafic international mais également pour échanger du trafic entre eux car il n’existait pas de point d’interconnexion. Outre le coût, le délai entre deux utilisateurs disposant de FAI différents était de plus d’une seconde du fait des deux " sauts " par satellite nécessaires pour que les FAI s’interconnectent dans un autre pays, empêchant certains usages. En janvier 2001, une réunion entre FAI a eu lieu à Oulan-Bator. Trois mois seulement après, en avril 2001, est né le MIX (Mongolian Internet eXchange). Trois premiers FAI ont commencé à échanger leur trafic. Les coûts d’interconnexion ont chuté et le délai a été ramené à 10 ms. En 2002, le MIX permettait l’échange des données entre les 6 principaux FAI du pays.

En Asie, des points d’interconnexion existent à Séoul, Honk-Kong, Mongolie, Cambodge...
Depuis 2004, il existe 10 points d’interconnexion sur le continent africain, mais beaucoup de réseaux sont reliés au reste de l’internet par satellite et donc pour l’instant passent par des IBP du Nord et s’interconnectent dans les pays de l’OCDE.
Les prix baissent également lorsque le marché s’ouvre et que les opérateurs monopolistiques doivent accepter la concurrence. En Ouganda, avant l’ouverture du marché en 1997, il existait 5000 utilisateurs de l’internet. En 2003, ce nombre est passé à 125000. Mais l’ouverture du marché intérieur n’est pas suffisante et il est nécessaire que le marché du transit international s’ouvre plus également.


Extrait du compte rendu établi par Cécile Méadel de la présentation réalisée par Jean-Michel Cornu le 24 novembre 2006 pour Vox Internet.

vivien

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Internet en Affrique : pourquoi c'est aussi cher
« Réponse #1 le: 26 août 2008 à 07:53:32 »
Internet en Afrique : Un racket bien organisé

Les Africains paient de cinq à dix fois plus qu’ici pour accéder à l’internet. C’est encore plus cher en milieu rural, où une connexion est souvent dure à trouver. Mais le plus scandaleux, c’est que les consommateurs n’y sont pour rien. Petite excursion du côté sombre de l’internet.

Ibrahima Yade monte l’escalier menant à l’étage, là où loge sa petite compagnie SeneLogic. Une entreprise en démarrage d’économie sociale avec pour slogan « La sénégalaise des logiciels libres ». Du haut de ses deux mètres, Ibrahima, la quarantaine, informe ses quatre plus jeunes collègues que la session de développement de logiciels est interrompue pour cause de coupure d’électricité.

SeneLogic, avec pignon sur rue dans le quartier Sacré-Cœur de Dakar, au Sénégal, avance malgré les difficultés liées à l’infrastructure. Si le Sénégal est un haut lieu de téléphonie mobile bon marché, l’accès à l’internet à large bande fait contraste. SeneLogic paie ainsi cinq fois plus pour sa connectivité qu’une compagnie de Berlin, et sept fois celle d’une montréalaise.

Cet internet hors de prix, peu fiable ou peu accessible, enterre les économies africaines dans un sous-développement inacceptable.

Un problème structurel et historique

Qui dit internet à large bande ou haute vitesse entend infrastructure à fibre optique. L’internet sans fil existe, certes, mais lorsqu’il est question de haut débit, nous entrons dans le domaine des dorsales, l’artillerie lourde permettant le transfert de données multimédia. Ce sont précisèment ces dorsales qui rendent l’expérience internet fiable et rapide. Or, il se trouve que sur les côtes africaines, ces câbles sous-marins font cruellement défaut.

Est-ce qu’il manque d’argent ? « Non », dit Mike Jensen, auteur du document Les coûts d’interconnexion, publié par l’Association pour le progrès des communications (APC). Et force est de constater qu’en matière de télécoms, la manne financière est énorme, si bien qu’aucun opérateur africain n’a fait faillite à ce jour.

La téléphonie mobile est le moteur qui engendre ces bénéfices monstres dans toute l’Afrique de l’Ouest. Ibrahima Yade, comme trois millions de ses compatriotes, utilise les services de téléphonie cellulaire de la compagnie Orange. Cela représente un quart de la population. Ce chiffre témoigne d’un fort appétit des Sénégalais pour les communications bon marché. À titre comparatif, Bell mobilité ne rejoint « que » six millions d’utilisateurs au Canada, soit une personne sur cinq.

Les coûts élevés de l’internet seraient, selon Mike Jensen, le fait d’opérateurs des télécommunications monopolistiques africains. En bonne partie contrôlés par des intérêts européens ou étasuniens, ils sont peu enclins à développer des dorsales internet.

Les opérateurs profitent ainsi de leur position pour refiler la facture aux fournisseurs de services internet (FSI) locaux, qui « doivent payer aux deux extrémités de leurs liaisons internationales », soit lorsqu’ils téléchargent des données en amont et en aval, nous signale Jensen. Ce sera, au finish, à Ibrahima Yade et aux siens de se débattre pour arriver à assumer le salé forfait de connectivité, qui s’élève à plus de 250 dollars canadiens par mois. Le cas de la Sonatel, qui bénéficie d’un accès direct au câble sous-marin SAT-3 depuis 2002, est patent. L’opérateur unique du Sénégal, qui appartient à France Télécom à hauteur de 43 %, passe l’addition aux FSI ouest-africains. Ces derniers sont tenus de faire transiter leur trafic international par la Sonatel. Les pays comme le Mali, la Guinée Bissau et le Burkina Faso dépendent entièrement de cet « accès à la mer » sénégalais, ce qui signifie des coûts exorbitants et une fiabilité soumise notamment aux nombreuses coupures d’électricité de ce pays.

La Sonatel joue au pacha en empochant des bénéfices sans pour autant réinvestir dans le développement d’infrastructures de télécommunication. Mais cet opérateur est aussi une victime, puisqu’il doit payer des frais de transit en amont, auprès des pays développés. En effet, la Sonatel se lie les mains dans un accord de transit avec un de ses gros actionnaires, France Télécom. Les sommes faramineuses dépensées par les clients africains pour accéder à l’internet migrent donc en Europe. « Cette subvention inversée vers le Nord a exacerbé les déséquilibres entre les régions développées et en développement », explique Mike Jensen.

Cette incongruité n’est pas seulement causée par France Télécom ou d’autres entreprises occidentales. Les dirigeants de la Sonatel, des autres sociétés de télécommunications africaines, ainsi que les leaders politiques du continent sont tout aussi responsables.

Briser la mentalité de consommateur

« Tous les pays africains, s’ils le décident, peuvent y arriver », lance Mohamed Diop, ingénieur des télécommunications sénégalais. « Nous devons être considérés comme des pairs vis-à-vis de l’Europe, des autres pays africains et des États-Unis », affirme-t-il. Mohamed Diop était de passage en juin à l’atelier de fondation de GOREeTIC — un réseau de la société civile engagé envers une réforme du secteur des télécommunications africaines.

Un ancien de la Sonatel, Mohamed Diop, avait déjà fait valoir son point de vue à l’occasion du Forum sur la gouvernance de l’internet, à Rio de Janeiro, en décembre 2007. Des sociétés du continent, tel que la Telkom sud-africaine, avaient alors tenté d’étouffer l’affaire. Sa vision concernant les accords d’interconnexion de transit s’appelle l’«  homologage », dans le jargon des télécoms. Ce genre de troc représenterait cependant une menace au bénéfice à court terme de ces sociétés.

Faisant écho à l’analyse du Sud-Africain Mike Jensen, Mohamed Diop martèle que « ce qu’on veut, c’est que l’Afrique, ce qu’elle est en train de dépenser pour l’accès à l’internet, la connectivité, aille dans le développement de l’infrastructure ».

Brancher au niveau sous-régional

Outre l’accès aux dorsales sous-marines, des spécialistes des télécommunications soutiennent qu’il faudra créer des dorsales à travers l’ensemble du continent. Pour y arriver, ils préconisent le modèle d’accès ouvert. Sous ce modèle éprouvé en Asie notamment, un montage financier ouvert à tous types d’investisseurs (grandes sociétés, gouvernements, petits FSI organisés en associations, groupes d’usagers) permettrait d’injecter les fonds nécessaires à l’établissement d’infrastructures de télécoms profitant à tous les partenaires.

Pour réussir, les sociétés civiles et le secteur des télécommunications africains doivent changer leurs pratiques afin de collaborer davantage. De leur côté, les grandes sociétés prédatrices, d’Europe pour la plupart, doivent être contraintes de revoir leurs accords avec les opérateurs africains.

La mise en place du réseau GOREeTIC se veut la réponse de la société civile à ce défi d’interconnexion. Le réseau agit non pas comme investisseur, mais bien comme lubrifiant, afin qu’à un très haut niveau politique et économique, les acteurs d’Afrique de l’Ouest et du Centre fassent changer les choses. Cela nécessite de chercher des solutions conjointement avec les parlementaires, de rassembler la société civile et les petits FSI et de s’investir auprès d’agences sous-régionales de régulation.

Cet objectif n’est pas irréaliste, parce que dans le domaine de l’internet, l’Afrique ne tire pas toujours la plus courte paille. Elle a, par exemple, réussi avec brio à casser cette dynamique de simple consommateur dans le domaine des adresses IP – ces numéros qui identifient chaque ordinateur connecté à l’internet. À force de livrer combat, l’organisation AfrinIC a vu le jour et elle gère maintenant les adresses IP du continent.


Source : Alternatives.ca jeudi 21 août 2008 par Frédéric DUBOIS
L’auteur est coordonnateur de l’information et relations médias à l’Association pour le progrès des communications (APC).